Erotisme et fatalité chez Brisseau
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Edencash :: Super 8 :: Love story
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Erotisme et fatalité chez Brisseau
Que ce soit dans [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] (1988), Choses secrètes (2002) ou Les Anges exterminateurs (2006), le film de Brisseau est construit comme une tragédie. Le tic-tac du temps qui passe, le destin qui pèse sur les personnages sont présents dans ces trois films.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] ou la chute d'un jeune garçon innocent sous l'influence d'une vermine ; Choses secrètes ou comment la manipulation se retourne contre celle qui se croit manipulatrice; Les Anges exterminateurs ou le danger qui se niche dans de belles jeunes filles...
Les Anges exterminateurs raconte les problèmes que rencontre avec la justice François, un réalisateur (représentant Jean-Claude Brisseau lui-même, qui prête d'ailleurs sa voix au personnage en off). Le héros (appelons-le ainsi car c'est contre lui que va se mettre en marche la machine de la fatalité) veut tourner un film dans lequel il va capter le plaisir des femmes, tenter de le comprendre. Prétextes ou non au [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], ses auditions vont le mettre sur le chemin de Charlotte, Julie et Stéphanie. Elles font l'amour ensemble sous ses yeux, dans une chambre d'hôtel, et il se tisse entre elles et lui des sentiments forts ou/et malsains.
Le film est tourné du point de vue de François (donc de Brisseau), et c'est un acteur avec un certain charme (Frederic Van Den Driessche) qui l'incarne et nous pousse à voir ces filles comme des folles, des êtres en manque, en quête de gloire, insatisfaites... Des filles faibles qui vont faire le mal... Lui nous paraît tout innocent!
Pour comprendre la genèse de ce film, on peut lire ceci :
Brisseau a été condamné en décembre 2005 à un an de prison avec sursis et 15.000 euros d'amende pour le harcèlement sexuel de deux actrices, à qui il avait demandé d'accomplir des actes érotiques lors d'auditions pour son film Choses secrètes. Cette histoire constitue d'ailleurs la trame de son film suivant, Les Anges exterminateurs. En 2007, il est entendu par la justice en tant que témoin assisté pour deux viols mais il est sorti libre et sans être mis en examen, l'enquête se poursuivant.
Il est donc intéressant de voir les deux films dans la foulée.
Brisseau aime filmer les femmes nues, ensemble, se donnant du plaisir (seules aussi) - même si c'est une vision très masculine, car les jouissances sont rapides et surtout "manuelles", pour être technique. De plus, elles ne s'aiment pas, ne sont pas lesbiennes. Il filme donc des femmes non lesbiennes se livrant au plaisir sexuel...
J'avais envie de voir aussi. J'ai trouvé ces scènes érotiques et troublantes, parce qu'elles se déroulent souvent sous les yeux d'un autre, souvent d'un homme (dans Choses secrètes, c'est l'ami d'une des filles qui la découvre en train de faire l'amour avec sa colocataire ; dans Les Anges Exterminateurs, François a toujours les yeux sur elles. Nous ne voyons pas ces filles entre elles et seules, il y a ce regard masculin qui essaie de comprendre la jouissance et qui se satisfait aussi, surtout, de ce spectacle auquel il ne prend pas part.
On peut aussi se souvenir de Noce blanche, où Brisseau aimait filmer aussi la nudité, cette histoire d'amour impossible entre un professeur de philosophie et son élève (Bruno Cremer et Vanessa Paradis).
Les amours de Brisseau mêlent Eros et Thanatos, elles sont érotiques et impossibles : les anges sont à l'œuvre, dans l'ombre.
Bande-annonce des Anges exterminateurs :
Kashima- Faux-monnayeur
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Date d'inscription : 29/09/2008
Re: Erotisme et fatalité chez Brisseau
J'ai vu Noce Blanche, j'avais beaucoup aimé cette histoire dramatique.
Pour les Anges Exterminateur, j'avais lu des extraits du scénario dans une grande surface spécialisée, ça m'avait assez troublé, émoustillé... il serait possible que je m'identifie au réalisateur fasciné par les plaisirs saphiques et solitaires féminins... ce que je fais en regardant des vidéos lesbiennes réservées aux adultes, souvent réalisées par des studios lesbiens, Girlfriends Productions et Sweetheart Video...
Pour les Anges Exterminateur, j'avais lu des extraits du scénario dans une grande surface spécialisée, ça m'avait assez troublé, émoustillé... il serait possible que je m'identifie au réalisateur fasciné par les plaisirs saphiques et solitaires féminins... ce que je fais en regardant des vidéos lesbiennes réservées aux adultes, souvent réalisées par des studios lesbiens, Girlfriends Productions et Sweetheart Video...
Re: Erotisme et fatalité chez Brisseau
J’ai vu un film de Brisseau – je ne sais plus lequel, c’était il y a plusieurs années. Je me souviens juste que j’ai à l'époque trouvé ça glauque, beauf, caricatural et misogyne au possible…
x 1001.
x 1001.
Nicole.
A l'aventure
Nicole a écrit:Je me souviens juste que j’ai à l'époque trouvé ça glauque, beauf, caricatural et misogyne au possible…
L'ambiance me plaît, le côté littéraire, écrit aussi...
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Le film (son dernier en date, 2009) tourne autour du plaisir, de sa recherche, des frontières à dépasser et des libertés qu'on peut prendre.
L'héroïne s'appelle encore Sandrine, comme dans Choses secrètes et Les Anges exterminateurs. Pourquoi? Est-ce un fil conducteur entre ces films qui mettent en scène, entre autres, la nudité des femmes et la recherche du plaisir?
On retrouve aussi dans A l'aventure quelques scènes lesbiennes sous le regard masculin, en groupe, comme dans les deux autres films.
Un physicien (ancien prof de physique), une étudiant en psychiatrie qui fait des séances d'hypnose, une femme en quête de l'extase... Drôle de mélange qui n'en fait pas un film aussi prenant que les deux autres (plus érotiques aussi).
La recherche d'une extase mystique est accompagnée, en parallèle, d'une réflexion sur la nature et l'existence de Dieu. Malgré l'apparence de la masse, tout est composé de vide et, "si un dieu existe, c'est peut-être pas un tendre, mais c'est certainement un très bon mathématicien." Le physicien ajoute: "Je ne crois pas à un dieu concevable par l'esprit humain."
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Le physicien, devant le ciel étoilé de la chambre, décor qu'on retrouve dans Les Anges exterminateurs.
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Le film (son dernier en date, 2009) tourne autour du plaisir, de sa recherche, des frontières à dépasser et des libertés qu'on peut prendre.
L'héroïne s'appelle encore Sandrine, comme dans Choses secrètes et Les Anges exterminateurs. Pourquoi? Est-ce un fil conducteur entre ces films qui mettent en scène, entre autres, la nudité des femmes et la recherche du plaisir?
On retrouve aussi dans A l'aventure quelques scènes lesbiennes sous le regard masculin, en groupe, comme dans les deux autres films.
Un physicien (ancien prof de physique), une étudiant en psychiatrie qui fait des séances d'hypnose, une femme en quête de l'extase... Drôle de mélange qui n'en fait pas un film aussi prenant que les deux autres (plus érotiques aussi).
La recherche d'une extase mystique est accompagnée, en parallèle, d'une réflexion sur la nature et l'existence de Dieu. Malgré l'apparence de la masse, tout est composé de vide et, "si un dieu existe, c'est peut-être pas un tendre, mais c'est certainement un très bon mathématicien." Le physicien ajoute: "Je ne crois pas à un dieu concevable par l'esprit humain."
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Le physicien, devant le ciel étoilé de la chambre, décor qu'on retrouve dans Les Anges exterminateurs.
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Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Re: Erotisme et fatalité chez Brisseau
Johnny a écrit:
Pour les Anges Exterminateur, j'avais lu des extraits du scénario dans une grande surface spécialisée, ça m'avait assez troublé, émoustillé... il serait possible que je m'identifie au réalisateur fasciné par les plaisirs saphiques et solitaires féminins...
Je crois que cela devrait te plaire...
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Re: Erotisme et fatalité chez Brisseau
Quand j'en aurai fini avec les animés et les séries prévues, je m'y penche !
Interview de Brisseau
Depuis Un jeu brutal (1982), Jean-Claude Brisseau n’a jamais cessé de prendre des risques avec ses films, osant le mélange des genres, privilégiant l’expérimentation et côtoyant l’interdit. Alors qu’il s’intéresse au tabou de la sexualité féminine avec Choses secrètes (2001), des comédiennes n’ayant pas été retenues pour le film l’accusent d’avoir profité d’elles pendant les essais. Jugé coupable à la suite d’un invraisemblable procès, et victime d’une publicité nauséabonde, Brisseau ressort meurtri de cette affaire. Mais loin de céder à ses détracteurs, il se met à nouveau en danger en poursuivant sa quête du plaisir féminin, avec un film en forme de manifeste pour son travail : Les Anges exterminateurs (2006).
À l'occasion de la sortie du film en DVD, Brisseau évoque de nouvelles attaques, mais affirme surtout un peu plus l’intérêt et la difficulté de sa démarche artistique. Rencontre le 4 avril 2007 dans une librairie parisienne.
Les Anges exterminateurs revient sur les problèmes que vous avez rencontrés tout au long de l’élaboration de votre précédent film, Choses secrètes, et pose ainsi la question fondamentale de la représentation du sexe au cinéma. À quel moment ce projet est-il né et quelles en ont été les motivations ?
D’abord, Choses secrètes m’avait posé un certain nombre de problèmes, parce que je voulais reprendre la méthode que j’avais utilisée sur mes premiers films Super 8, c’est-à-dire partir d’une trame narrative et interroger les comédiens sur un magnétophone, puis décrypter et réécrire un dialogue à partir de ça, et le leur donner le lendemain pour qu’ils le jouent. Mais je n’ai pas pu réutiliser cette technique et j’ai fait un film complètement construit en 35 mm, avec lequel j’ai eu des problèmes liés au sexe. Je me suis posé la question de la représentation du sexe à ce moment-là, et j’ai cherché pendant longtemps une utilisation équivalente à celle que Hitchcock avait employée dans les séquences de meurtres de Psychose. Je ne trouvais pas, enfin j’ai juste trouvé à un moment. Hélas, j’étais aveugle sur une chose qui m’a valu tous mes problèmes. J’ai abouti à un certain type de mise en scène où j’étais obligé d’utiliser le plan-séquence et des plans relativement larges, c’est-à-dire pas de découpage, ce qui implique un gros travail devant la caméra avec les comédiens.
Mon but dans Choses secrètes était, en dehors du domaine philosophique, mais d’un point de vue dramatique, d’essayer de savoir si l’on pouvait utiliser l’émotion liée au sexe, comme Hitchcock avait utilisé la peur pour donner la trouille. Hitchcock, quand il fait Psychose, nous informe qu’une vieille dame tue avec un grand couteau et qu’elle peut surgir de n’importe où. Du même coup, quand un personnage se trouve devant l’escalier ou devant une porte, on se demande si la vieille dame ne va pas arriver du haut de l’escalier ou de derrière la porte. Mais elle ne surgit de nulle part et l’on dramatise du vide. Je m’étais dit qu’on allait montrer deux filles qui ne portent pas le sexe sur leur visage, et dont on sait qu’elles ont envie de faire toute une série de choses que le grand public veut voir, surtout les femmes. On va voir ensuite qu’elles sont capables de le faire, on va les montrer dans un bureau. Et alors qu’elles ne font rien dans un premier temps, le spectateur va se demander ce qu’elles vont faire et va dramatiser du vide de la même manière.
Quand le film est sorti, un producteur m’a dit : «Je te donne cinq millions de francs et tu fais un film !». Comme j’avais rencontré le tabou du sexe sur Choses secrètes, je me suis dit que j’allais faire un film là-dessus, de la même manière que j’avais fait De bruit et de fureur sur le tabou de la petite délinquance. Alors que ce producteur ne m’avait demandé qu'une dizaine de pages, j’ai commencé à écrire - après avoir fait vaguement le choix de comédiennes qui n’ont hélas pas fait le film - un premier document qui faisait quatre-vingt pages environ. Finalement, le producteur a abandonné le projet. En le retravaillant, j’ai eu envie d'introduire des éléments fantastiques pour insérer une comédienne. J’ai repensé le film et je l’ai construit d’une autre manière, toujours en gardant le thème du tabou du sexe. Je l’ai construit un peu comme une sorte de tragédie classique, comme Œdipe roi, dans une perspective circulaire, et en m’inspirant aussi vaguement de Cocteau, tout au moins d’ Orphée. Je me suis dit que j’allais faire l’expérience, tout en suivant le public, en donnant des émotions, de mélanger le sexe, l’émotion sur le sexe, avec des éléments poétiques, surréalistes, éventuellement des éléments comiques, et voir comment tout cela allait fonctionner. Ce travail-là m’a d’ailleurs passionné.
Par contre, un des réels problèmes dont les gens sont peu conscients, c’est le travail pour tourner les séquences de sexe. Il y a par exemple une séquence d’amour à trois entre filles, où il a fallu huit heures de répétitions. Les gens disent : « Il en a profité, lui qui aime bien les femmes, il a vu des filles à poil qui baisent ensemble pendant huit heures ». Mais j’en avais marre, j’étais saturé ! Ça a été un travail très difficile, d’abord de préparer ce qui va être fait, de répéter comme un ballet, mais aussi que ça soit juste et que les comédiennes soient capables d’être touchantes. Pour les hommes qui aiment les femmes, c’est facile. Mais pour les femmes, c’est beaucoup plus compliqué. On doit avoir une certaine authenticité. Les femmes ont souvent l’habitude de la simulation du sexe. Du même coup, elles voient très vite sur leurs consœurs ce qui ne va pas, alors que les hommes n’y voient rien. Quand des femmes me disent que 90% d’entre elles sont en train de simuler quand elles font l’amour avec des mecs, je me dis, si c’est vrai, qu’il y a peu de mecs qui s’en rendent compte. Mais les femmes voient.
L’intrigue des Anges exterminateurs reprend des fantasmes déjà présents dans Choses secrètes, mais introduit également de nombreuses scènes de confidences …
Tout ce que j’ai utilisé dans le film, soit comme scène, soit comme dialogue, est parti de confidences des femmes. Je n’ai rien inventé.
Ces confidences viennent-elles des rencontres avec les comédiennes de Choses secrètes ?
Non, pas nécessairement avec les comédiennes de Choses secrètes. Elles n’ont pas grand chose à voir avec ce qu’il y a dans le film. C’était des confidences que j’ai reçues il y a des années, sur un film en particulier, et avec des femmes de tous âges que j’ai rencontrées et avec lesquelles j’ai discuté.
De quelle manière procédez-vous avec les comédiennes avant et pendant le tournage ? Favorisez-vous le travail de répétition en amont pour tourner ensuite un minimum de prises ?
De toute façon, je tourne très vite et il n’y a qu’une prise ou deux. Ce que je fais sur le sexe est la même chose que pour tout le reste. D’abord, il faut être sûr que les filles sont capables de faire sur l’écran ce qui est écrit dans le scénario, ce qui n’est pas une évidence. J’ai été très critiqué sur ce terrain-là, par un certain nombre de gens, mais il faut dire qu’ils n’ont jamais été confrontés à ça. Ils laissent faire, ils attendent tranquillement et ils font ce que presque tout le monde fait dans ces cas-là, ils se disent : « On réglera ça sur le tournage, on attendra ». Et au moment du tournage, rien ne se passe. Il y a même des tas de problèmes : les filles ne savent pas ce qu’elles vont faire, elles ont peur, tout le monde a peur et en général, ça foire. Donc je préfère à la limite travailler avant. Surtout que je n’aime pas enlaidir les gens, et qu’il y a par exemple certaines positions, certains angles, qui ne pourraient pas coller et que j’élimine. Dans mon film précédent par exemple, comme il avait été fait avec trois millions de francs, il y a une des comédiennes de 25 ans qui donnait l’impression dans certains plans d’en avoir 30, parce qu’on n'avait pas les moyens de l’éclairer. Eh bien ces plans-là, je les ai coupés. D’ailleurs, le montage a été parfois lié à ces éléments-là.
Quand vous voyez la séquence d’amour à trois, ça se déroule en quatre minutes avec deux plans, sans compter le contrechamp sur le comédien. Cela veut dire que les filles, qui sont totalement froides au début, auront exactement trois minutes et demi pour arriver à donner l’impression d’un orgasme authentique. C’est beaucoup plus difficile qu’on l’imagine, surtout quand vous êtes obligés de travailler en fonction de la lumière et de la position de la caméra. Je me rappelle qu’une des comédiennes a dit à un critique, à propos de la séquence sur le canapé : « Vous ne vous rendez pas compte de la difficulté, nous savons que la caméra va commencer à bouger à un moment et que nous devons avoir l’orgasme quand la caméra s’arrête. Nous sommes obligées de penser à ça et, en même temps, nous sommes obligées de penser à nous-mêmes et à jouer la montée ». Quand vous êtes en train de faire l’amour, quel que soit votre partenaire, en général, pour que vous ayez un minimum de plaisir, vous n’êtes pas en train de penser à tous les détails matériels qu’il y a autour de vous. Mais les comédiens, justement, sont obligés de penser à la caméra. Ce n’est pas si facile que ça. Surtout que les comédiens n’ont pas l’habitude de ce type de séquences, parce qu’on ne les apprend pas, comme je le dis dans les cours d’art dramatique. Pourtant, ça fait partie de la vie, mais il y a une interdiction sur cette question. Effectivement, pour beaucoup de gens, tout au moins quand ils sont relativement jeunes et même après, la vie sexuelle fait partie des choses extrêmement importantes dans la vie.
La force de la sexualité est telle que c’est une des motivations les plus importantes dans le comportement des êtres humains. Le paradoxe, c’est qu’on ne la trouve pas dans le cinéma, sauf dans les films X, qui sont la plupart du temps le degré zéro de l’écriture cinématographique. C’est pour ça que j’ai eu des tas de problèmes, dont les gens n’ont pas conscience parce qu’ils voient seulement le résultat final. Je vais vous donner un exemple qui vient de mon film précédent, ,Choses secrètes. À un moment, des critiques m’avaient demandé de commenter une séquence. C’est le moment, après la séquence que j’appelle « Les mecs : mode d’emploi », où Coralie demande à l’autre fille de simuler un orgasme. Cette séquence était pour moi une séquence-clé, parce qu’on va voir le mensonge en acte. Tout le film est organisé sur l’illusion, le simulacre, le mensonge, et pas seulement ce que fait Sabrina vis-à-vis des deux cadres, car on s’aperçoit à la fin que Coralie elle-même manipule tout le monde. Tout est organisé sur l’illusion et la manipulation. On va voir les filles mentir en actes, y compris dans le domaine sensuel. Donc, je ne peux pas faire autrement que tourner un plan-séquence, sinon on se dira : « Tiens, il a tripoté au montage ». Il faut voir quelqu’un qui va mentir et simuler un orgasme en plan-séquence. En même temps, ce plan-séquence ne peut pas durer une éternité. Je suis à trois quarts d’heure de film et il me reste une heure et quart derrière. Je ne peux pas faire durer ça dix minutes, un quart d’heure. Donc il va falloir réduire ça en deux minutes, deux minutes et demie. Il faut que la fille, en deux minutes, deux minutes et demie, fasse se demander au spectateur, homme et femme : « Elle simule ou elle est en train de se laisser prendre au jeu ? ». Elle a l’air de se laisser prendre au jeu. Du même coup, on regarde dans le coin gauche de l’écran pour voir ce qu’elle est en train de faire. À un moment, une première secousse, une deuxième, une troisième, on se dit qu’elle a un véritable orgasme. Puis la fille tombe, elle a l’air épuisée. Ensuite, elle ouvre son œil, malicieux : « Alors, ça a marché ou pas ? ». La fille ne sera pas capable de reproduire ça pendant une éternité. Ça veut dire qu’il a fallu tout préparer, pour un truc qui dure deux minutes et demie. Et je répète, on n'apprend pas à faire ça dans les cours d’art dramatique. Il ne s’agit pas de simuler les pleurs. Encore qu’au cinéma, la réelle douleur n’est pas simulée.
La caméra est impitoyable et voit dans les yeux des gens s’ils sont en train de simuler ou pas. Dans La prisonnière du désert, quand John Wayne arrive devant la maison brûlée et sort son fusil, on voit dans ses yeux des pleurs ou l’équivalent de pleurs. Il ne peut pas tricher, il faut que ça soit authentique. Si jamais il est en train de jouer la comédie, ça tombe. En plus, il faut que ce soit discret. Vous avez besoin d’authenticité. Eh bien là, c’est sur le sexe, où en plus il y a tout le corps qui bouge. J’ai été obligé de voir ça tout seul avec les comédiennes, qui acceptent de s’y prêter ou pas. Si elles n’acceptent pas d’ailleurs, ce n’est pas la peine de faire un film. Certaines ont eu des problèmes. Je suis assez furieux de constater que mon assistante a eu des tas de problèmes après, dans les milieux ultra-cultivés.
(...)
Propos recueillis par Stéphane Tralongo
À l'occasion de la sortie du film en DVD, Brisseau évoque de nouvelles attaques, mais affirme surtout un peu plus l’intérêt et la difficulté de sa démarche artistique. Rencontre le 4 avril 2007 dans une librairie parisienne.
Les Anges exterminateurs revient sur les problèmes que vous avez rencontrés tout au long de l’élaboration de votre précédent film, Choses secrètes, et pose ainsi la question fondamentale de la représentation du sexe au cinéma. À quel moment ce projet est-il né et quelles en ont été les motivations ?
D’abord, Choses secrètes m’avait posé un certain nombre de problèmes, parce que je voulais reprendre la méthode que j’avais utilisée sur mes premiers films Super 8, c’est-à-dire partir d’une trame narrative et interroger les comédiens sur un magnétophone, puis décrypter et réécrire un dialogue à partir de ça, et le leur donner le lendemain pour qu’ils le jouent. Mais je n’ai pas pu réutiliser cette technique et j’ai fait un film complètement construit en 35 mm, avec lequel j’ai eu des problèmes liés au sexe. Je me suis posé la question de la représentation du sexe à ce moment-là, et j’ai cherché pendant longtemps une utilisation équivalente à celle que Hitchcock avait employée dans les séquences de meurtres de Psychose. Je ne trouvais pas, enfin j’ai juste trouvé à un moment. Hélas, j’étais aveugle sur une chose qui m’a valu tous mes problèmes. J’ai abouti à un certain type de mise en scène où j’étais obligé d’utiliser le plan-séquence et des plans relativement larges, c’est-à-dire pas de découpage, ce qui implique un gros travail devant la caméra avec les comédiens.
Mon but dans Choses secrètes était, en dehors du domaine philosophique, mais d’un point de vue dramatique, d’essayer de savoir si l’on pouvait utiliser l’émotion liée au sexe, comme Hitchcock avait utilisé la peur pour donner la trouille. Hitchcock, quand il fait Psychose, nous informe qu’une vieille dame tue avec un grand couteau et qu’elle peut surgir de n’importe où. Du même coup, quand un personnage se trouve devant l’escalier ou devant une porte, on se demande si la vieille dame ne va pas arriver du haut de l’escalier ou de derrière la porte. Mais elle ne surgit de nulle part et l’on dramatise du vide. Je m’étais dit qu’on allait montrer deux filles qui ne portent pas le sexe sur leur visage, et dont on sait qu’elles ont envie de faire toute une série de choses que le grand public veut voir, surtout les femmes. On va voir ensuite qu’elles sont capables de le faire, on va les montrer dans un bureau. Et alors qu’elles ne font rien dans un premier temps, le spectateur va se demander ce qu’elles vont faire et va dramatiser du vide de la même manière.
Quand le film est sorti, un producteur m’a dit : «Je te donne cinq millions de francs et tu fais un film !». Comme j’avais rencontré le tabou du sexe sur Choses secrètes, je me suis dit que j’allais faire un film là-dessus, de la même manière que j’avais fait De bruit et de fureur sur le tabou de la petite délinquance. Alors que ce producteur ne m’avait demandé qu'une dizaine de pages, j’ai commencé à écrire - après avoir fait vaguement le choix de comédiennes qui n’ont hélas pas fait le film - un premier document qui faisait quatre-vingt pages environ. Finalement, le producteur a abandonné le projet. En le retravaillant, j’ai eu envie d'introduire des éléments fantastiques pour insérer une comédienne. J’ai repensé le film et je l’ai construit d’une autre manière, toujours en gardant le thème du tabou du sexe. Je l’ai construit un peu comme une sorte de tragédie classique, comme Œdipe roi, dans une perspective circulaire, et en m’inspirant aussi vaguement de Cocteau, tout au moins d’ Orphée. Je me suis dit que j’allais faire l’expérience, tout en suivant le public, en donnant des émotions, de mélanger le sexe, l’émotion sur le sexe, avec des éléments poétiques, surréalistes, éventuellement des éléments comiques, et voir comment tout cela allait fonctionner. Ce travail-là m’a d’ailleurs passionné.
Par contre, un des réels problèmes dont les gens sont peu conscients, c’est le travail pour tourner les séquences de sexe. Il y a par exemple une séquence d’amour à trois entre filles, où il a fallu huit heures de répétitions. Les gens disent : « Il en a profité, lui qui aime bien les femmes, il a vu des filles à poil qui baisent ensemble pendant huit heures ». Mais j’en avais marre, j’étais saturé ! Ça a été un travail très difficile, d’abord de préparer ce qui va être fait, de répéter comme un ballet, mais aussi que ça soit juste et que les comédiennes soient capables d’être touchantes. Pour les hommes qui aiment les femmes, c’est facile. Mais pour les femmes, c’est beaucoup plus compliqué. On doit avoir une certaine authenticité. Les femmes ont souvent l’habitude de la simulation du sexe. Du même coup, elles voient très vite sur leurs consœurs ce qui ne va pas, alors que les hommes n’y voient rien. Quand des femmes me disent que 90% d’entre elles sont en train de simuler quand elles font l’amour avec des mecs, je me dis, si c’est vrai, qu’il y a peu de mecs qui s’en rendent compte. Mais les femmes voient.
L’intrigue des Anges exterminateurs reprend des fantasmes déjà présents dans Choses secrètes, mais introduit également de nombreuses scènes de confidences …
Tout ce que j’ai utilisé dans le film, soit comme scène, soit comme dialogue, est parti de confidences des femmes. Je n’ai rien inventé.
Ces confidences viennent-elles des rencontres avec les comédiennes de Choses secrètes ?
Non, pas nécessairement avec les comédiennes de Choses secrètes. Elles n’ont pas grand chose à voir avec ce qu’il y a dans le film. C’était des confidences que j’ai reçues il y a des années, sur un film en particulier, et avec des femmes de tous âges que j’ai rencontrées et avec lesquelles j’ai discuté.
De quelle manière procédez-vous avec les comédiennes avant et pendant le tournage ? Favorisez-vous le travail de répétition en amont pour tourner ensuite un minimum de prises ?
De toute façon, je tourne très vite et il n’y a qu’une prise ou deux. Ce que je fais sur le sexe est la même chose que pour tout le reste. D’abord, il faut être sûr que les filles sont capables de faire sur l’écran ce qui est écrit dans le scénario, ce qui n’est pas une évidence. J’ai été très critiqué sur ce terrain-là, par un certain nombre de gens, mais il faut dire qu’ils n’ont jamais été confrontés à ça. Ils laissent faire, ils attendent tranquillement et ils font ce que presque tout le monde fait dans ces cas-là, ils se disent : « On réglera ça sur le tournage, on attendra ». Et au moment du tournage, rien ne se passe. Il y a même des tas de problèmes : les filles ne savent pas ce qu’elles vont faire, elles ont peur, tout le monde a peur et en général, ça foire. Donc je préfère à la limite travailler avant. Surtout que je n’aime pas enlaidir les gens, et qu’il y a par exemple certaines positions, certains angles, qui ne pourraient pas coller et que j’élimine. Dans mon film précédent par exemple, comme il avait été fait avec trois millions de francs, il y a une des comédiennes de 25 ans qui donnait l’impression dans certains plans d’en avoir 30, parce qu’on n'avait pas les moyens de l’éclairer. Eh bien ces plans-là, je les ai coupés. D’ailleurs, le montage a été parfois lié à ces éléments-là.
Quand vous voyez la séquence d’amour à trois, ça se déroule en quatre minutes avec deux plans, sans compter le contrechamp sur le comédien. Cela veut dire que les filles, qui sont totalement froides au début, auront exactement trois minutes et demi pour arriver à donner l’impression d’un orgasme authentique. C’est beaucoup plus difficile qu’on l’imagine, surtout quand vous êtes obligés de travailler en fonction de la lumière et de la position de la caméra. Je me rappelle qu’une des comédiennes a dit à un critique, à propos de la séquence sur le canapé : « Vous ne vous rendez pas compte de la difficulté, nous savons que la caméra va commencer à bouger à un moment et que nous devons avoir l’orgasme quand la caméra s’arrête. Nous sommes obligées de penser à ça et, en même temps, nous sommes obligées de penser à nous-mêmes et à jouer la montée ». Quand vous êtes en train de faire l’amour, quel que soit votre partenaire, en général, pour que vous ayez un minimum de plaisir, vous n’êtes pas en train de penser à tous les détails matériels qu’il y a autour de vous. Mais les comédiens, justement, sont obligés de penser à la caméra. Ce n’est pas si facile que ça. Surtout que les comédiens n’ont pas l’habitude de ce type de séquences, parce qu’on ne les apprend pas, comme je le dis dans les cours d’art dramatique. Pourtant, ça fait partie de la vie, mais il y a une interdiction sur cette question. Effectivement, pour beaucoup de gens, tout au moins quand ils sont relativement jeunes et même après, la vie sexuelle fait partie des choses extrêmement importantes dans la vie.
La force de la sexualité est telle que c’est une des motivations les plus importantes dans le comportement des êtres humains. Le paradoxe, c’est qu’on ne la trouve pas dans le cinéma, sauf dans les films X, qui sont la plupart du temps le degré zéro de l’écriture cinématographique. C’est pour ça que j’ai eu des tas de problèmes, dont les gens n’ont pas conscience parce qu’ils voient seulement le résultat final. Je vais vous donner un exemple qui vient de mon film précédent, ,Choses secrètes. À un moment, des critiques m’avaient demandé de commenter une séquence. C’est le moment, après la séquence que j’appelle « Les mecs : mode d’emploi », où Coralie demande à l’autre fille de simuler un orgasme. Cette séquence était pour moi une séquence-clé, parce qu’on va voir le mensonge en acte. Tout le film est organisé sur l’illusion, le simulacre, le mensonge, et pas seulement ce que fait Sabrina vis-à-vis des deux cadres, car on s’aperçoit à la fin que Coralie elle-même manipule tout le monde. Tout est organisé sur l’illusion et la manipulation. On va voir les filles mentir en actes, y compris dans le domaine sensuel. Donc, je ne peux pas faire autrement que tourner un plan-séquence, sinon on se dira : « Tiens, il a tripoté au montage ». Il faut voir quelqu’un qui va mentir et simuler un orgasme en plan-séquence. En même temps, ce plan-séquence ne peut pas durer une éternité. Je suis à trois quarts d’heure de film et il me reste une heure et quart derrière. Je ne peux pas faire durer ça dix minutes, un quart d’heure. Donc il va falloir réduire ça en deux minutes, deux minutes et demie. Il faut que la fille, en deux minutes, deux minutes et demie, fasse se demander au spectateur, homme et femme : « Elle simule ou elle est en train de se laisser prendre au jeu ? ». Elle a l’air de se laisser prendre au jeu. Du même coup, on regarde dans le coin gauche de l’écran pour voir ce qu’elle est en train de faire. À un moment, une première secousse, une deuxième, une troisième, on se dit qu’elle a un véritable orgasme. Puis la fille tombe, elle a l’air épuisée. Ensuite, elle ouvre son œil, malicieux : « Alors, ça a marché ou pas ? ». La fille ne sera pas capable de reproduire ça pendant une éternité. Ça veut dire qu’il a fallu tout préparer, pour un truc qui dure deux minutes et demie. Et je répète, on n'apprend pas à faire ça dans les cours d’art dramatique. Il ne s’agit pas de simuler les pleurs. Encore qu’au cinéma, la réelle douleur n’est pas simulée.
La caméra est impitoyable et voit dans les yeux des gens s’ils sont en train de simuler ou pas. Dans La prisonnière du désert, quand John Wayne arrive devant la maison brûlée et sort son fusil, on voit dans ses yeux des pleurs ou l’équivalent de pleurs. Il ne peut pas tricher, il faut que ça soit authentique. Si jamais il est en train de jouer la comédie, ça tombe. En plus, il faut que ce soit discret. Vous avez besoin d’authenticité. Eh bien là, c’est sur le sexe, où en plus il y a tout le corps qui bouge. J’ai été obligé de voir ça tout seul avec les comédiennes, qui acceptent de s’y prêter ou pas. Si elles n’acceptent pas d’ailleurs, ce n’est pas la peine de faire un film. Certaines ont eu des problèmes. Je suis assez furieux de constater que mon assistante a eu des tas de problèmes après, dans les milieux ultra-cultivés.
(...)
Propos recueillis par Stéphane Tralongo
Et à propos de A l'aventure :
(dernier film avec séquences de sexe, fin de la trilogie)
Kashima- Faux-monnayeur
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Date d'inscription : 29/09/2008
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