Malina, adaptation de l'unique roman d’Ingeborg Bachmann par W. Schroeter avec Isabelle Huppert
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Malina, adaptation de l'unique roman d’Ingeborg Bachmann par W. Schroeter avec Isabelle Huppert
Malina d'Ingeborg Bachman:
Premier et seul volet achevé d'un cycle romanesque portant sur les différents " Genres de mort ", publié du vivant de l'auteur en 1971, Bachmann (1926-1973) l'écrit, alors en exil à Rome, recluse dans son appartement, comme si par cette seule distance elle pouvait mieux revenir à sa " maison d'Autriche ", le lieu où pour elle le monde a été une fois perdu. Texte inclassable, marquant par son extrême violence et sa sensibilité angoissée sortie tout droit des ruines de l'immédiat après-guerre, Malina présente tous les éléments d'un drame en sursis. Rivé à un " aujourd'hui " unique, dans une Vienne réduite à un fragment de rue et plus encore, à une scène intérieure pavée de failles et trous noirs, un " Moi " féminin tente d'exister entre deux hommes : Ivan, l'amant qui lui fournit ses " injections de réalité ", et Malina, le compagnon vigilant, non pas moins distant, dont la culture d'historien et d'écrivain a force de loi.
De Bernhard, Jelinek à Christa Wolf, beaucoup d'encre aura coulé sur l'énigme de ce Moi déchiré : mise en scène du conflit fondamental qui mine l'identité d'un Moi au féminin, lequel, pour écrire, doit nécessairement s'exposer à la scission, à la fracture ? Dans cette " autobiographie imaginaire " sans doute est-ce bien elle, la femme, l'Autrichienne de Carinthie ; l'étrangère cherchant sa place dans le monde littéraire encore largement dominé par les héritages masculins ; l'amante passionnée, trahie (Max Frisch) et abîmée (le suicide de Celan, qu'elle aima " plus que sa vie ") ; l'une des seules voix allemandes d'après-guerre à dénoncer, à partir d'une langue elle-même colonisée par la terreur, l'obscénité d'une société psychiquement dénaturée...
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Si le premier chapitre relate l'histoire du " bonheur avec Ivan " c'est davantage celle d'une prise de possession, avec ce qu'une telle annexion du corps comporte de menace de déstructuration, de désastre : " Je ne vis qu'en Ivan. / Je ne lui survivrai pas. " L'absence ou plutôt l'impossibilité de développement temporel autant que la composition polyvalente du texte - un collage de dialogues, de citations et de bribes narratives - disent la fragmentation funeste qui est à l'oeuvre. Moi fume, attend " à genoux par terre " les appels d'Ivan, et à défaut, tente de se raccrocher à soi, la tête dans les mains. Après le ravissement du désir, l'espoir n'était-il pas là, d'un amour appelé à transformer le monde et à ressusciter dans son intégralité le Moi brisé ? Ainsi Ivan, son prénom même, devient-il le talisman grâce auquel le Moi pourra vaincre - être heureuse et écrire un " beau livre ". Mais devant tant de poésie, Ivan s'éloigne et finit par la délaisser. " Aucun jour ne viendra " : la pulsion de mort, le désir d'en finir, toujours latents, témoignent de la mise en pièces de l'utopie qu'il y a à vouloir aimer et écrire. Commence alors la descente, ou plutôt le retour aux enfers (le deuxième chapitre).
Car Moi, dont la condamnation au malheur plonge ses racines dans l'Histoire, a déjà été livré aux morts les plus atroces. N'ayant plus de garantie aucune (" ma seule assurance est une phrase. Le monde n'a pas d'assurance pour moi. "), Moi s'égare, Moi perd pied dans l'espace-temps du souvenir, disloqué car empli encore d'un effroi mortel. C'est " l'ère des chutes " dans ce qu'elle nomme son " caveau " : le vaste champ du deuil et de la mémoire d'un crime originel, irréversible, trop vite refoulé, et dont la langue de détresse emprunte à celle, à la fois cryptée et hallucinée, des rêves plus terrifiants les uns que les autres. S'y détache la figure du " troisième homme ", le père, que le Moi, dans la séquence proprement insoutenable de la chambre à gaz, identifie au pire des assassins, à Hitler. Malina, l'autre point fixe, dont l'écoute semblait d'abord la soutenir, devient de plus en plus hostile, et " ses suggestions, ses silences et ses questions flegmatiques le rendent inhumain ". Tel un traumatisme inaugural d'où toutes les autres morts découlent, les multiples sévices infligés par le père-bourreau, qu'il soit l'amant violeur, le tueur sadique ou l'arracheur de langue, de phrases, ne sont pas dépassés : fût-ce sous des masques plus inoffensifs, ils demeurent lourds de menaces, ces " jeux guerriers " que la société viennoise de l'après-Auschwitz, matrice de " la prostitution universelle ", continue d'inoculer comme un " virus " jusque dans la sphère privée du couple. Car entre les hommes et les femmes, " c'est toujours la guerre ". Il suffit juste " d'attendre assez longtemps, et c'est l'effondrement, et à petit feu ou en un rien de temps, la fin survient. " À petit feu : Ingeborg Bachmann ne pouvait mieux l'écrire, elle qui dans ce combat sans sauvetage, s'est littéralement consumée jusqu'à en mourir à l'âge de 47 ans.
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Le film:
Dans cette éblouissante adaptation du roman d’Ingeborg Bachmann Schroeter offre un rôle en or à Isabelle Huppert et flambe le plus gros budget de sa carrière sans rien renier de son style et de sa liberté créatrice.
L’argument :Prise entre deux hommes, Malina, son ange gardien ou peut-être son double masculin, et Ivan, son amour impossible, une femme, philosophe et romancière, se consume par le feu de son intelligence, de sa liberté sans limites et de sa difficulté à créer qui déchaînent une passion dévorante et folle, jusqu’à l’autodestruction.
Adapter au cinéma Malina (1971) l’unique roman d’Ingeborg Bachmann (1926-1973) figure majeure de la littérature autrichienne du vingtième siècle, était une gageure. En effet cette autobiographie imaginaire se présente comme un collage plus poétique que narratif de fragments de récits, de lettres, de fausses interviews, de scènes dialoguées ou encore de descriptions oniriques, et ne se prête guère à un traitement dramatique classique.
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Isabelle Huppert jouant le rôle de l'héroïne du roman, qui meurt brûlée dans sa maison de Vienne, comme la romancière. Ingeborg Bachmann meurt en effet, brûlée vive dans sa chambre d'hôtel à Rome, le 17 octobre 1973. S'agit-il d'un accident, ou de ce que Stig Dagerman appelait l'« accident de travail » de l'écrivain : le suicide ?
Premier et seul volet achevé d'un cycle romanesque portant sur les différents " Genres de mort ", publié du vivant de l'auteur en 1971, Bachmann (1926-1973) l'écrit, alors en exil à Rome, recluse dans son appartement, comme si par cette seule distance elle pouvait mieux revenir à sa " maison d'Autriche ", le lieu où pour elle le monde a été une fois perdu. Texte inclassable, marquant par son extrême violence et sa sensibilité angoissée sortie tout droit des ruines de l'immédiat après-guerre, Malina présente tous les éléments d'un drame en sursis. Rivé à un " aujourd'hui " unique, dans une Vienne réduite à un fragment de rue et plus encore, à une scène intérieure pavée de failles et trous noirs, un " Moi " féminin tente d'exister entre deux hommes : Ivan, l'amant qui lui fournit ses " injections de réalité ", et Malina, le compagnon vigilant, non pas moins distant, dont la culture d'historien et d'écrivain a force de loi.
De Bernhard, Jelinek à Christa Wolf, beaucoup d'encre aura coulé sur l'énigme de ce Moi déchiré : mise en scène du conflit fondamental qui mine l'identité d'un Moi au féminin, lequel, pour écrire, doit nécessairement s'exposer à la scission, à la fracture ? Dans cette " autobiographie imaginaire " sans doute est-ce bien elle, la femme, l'Autrichienne de Carinthie ; l'étrangère cherchant sa place dans le monde littéraire encore largement dominé par les héritages masculins ; l'amante passionnée, trahie (Max Frisch) et abîmée (le suicide de Celan, qu'elle aima " plus que sa vie ") ; l'une des seules voix allemandes d'après-guerre à dénoncer, à partir d'une langue elle-même colonisée par la terreur, l'obscénité d'une société psychiquement dénaturée...
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Si le premier chapitre relate l'histoire du " bonheur avec Ivan " c'est davantage celle d'une prise de possession, avec ce qu'une telle annexion du corps comporte de menace de déstructuration, de désastre : " Je ne vis qu'en Ivan. / Je ne lui survivrai pas. " L'absence ou plutôt l'impossibilité de développement temporel autant que la composition polyvalente du texte - un collage de dialogues, de citations et de bribes narratives - disent la fragmentation funeste qui est à l'oeuvre. Moi fume, attend " à genoux par terre " les appels d'Ivan, et à défaut, tente de se raccrocher à soi, la tête dans les mains. Après le ravissement du désir, l'espoir n'était-il pas là, d'un amour appelé à transformer le monde et à ressusciter dans son intégralité le Moi brisé ? Ainsi Ivan, son prénom même, devient-il le talisman grâce auquel le Moi pourra vaincre - être heureuse et écrire un " beau livre ". Mais devant tant de poésie, Ivan s'éloigne et finit par la délaisser. " Aucun jour ne viendra " : la pulsion de mort, le désir d'en finir, toujours latents, témoignent de la mise en pièces de l'utopie qu'il y a à vouloir aimer et écrire. Commence alors la descente, ou plutôt le retour aux enfers (le deuxième chapitre).
Car Moi, dont la condamnation au malheur plonge ses racines dans l'Histoire, a déjà été livré aux morts les plus atroces. N'ayant plus de garantie aucune (" ma seule assurance est une phrase. Le monde n'a pas d'assurance pour moi. "), Moi s'égare, Moi perd pied dans l'espace-temps du souvenir, disloqué car empli encore d'un effroi mortel. C'est " l'ère des chutes " dans ce qu'elle nomme son " caveau " : le vaste champ du deuil et de la mémoire d'un crime originel, irréversible, trop vite refoulé, et dont la langue de détresse emprunte à celle, à la fois cryptée et hallucinée, des rêves plus terrifiants les uns que les autres. S'y détache la figure du " troisième homme ", le père, que le Moi, dans la séquence proprement insoutenable de la chambre à gaz, identifie au pire des assassins, à Hitler. Malina, l'autre point fixe, dont l'écoute semblait d'abord la soutenir, devient de plus en plus hostile, et " ses suggestions, ses silences et ses questions flegmatiques le rendent inhumain ". Tel un traumatisme inaugural d'où toutes les autres morts découlent, les multiples sévices infligés par le père-bourreau, qu'il soit l'amant violeur, le tueur sadique ou l'arracheur de langue, de phrases, ne sont pas dépassés : fût-ce sous des masques plus inoffensifs, ils demeurent lourds de menaces, ces " jeux guerriers " que la société viennoise de l'après-Auschwitz, matrice de " la prostitution universelle ", continue d'inoculer comme un " virus " jusque dans la sphère privée du couple. Car entre les hommes et les femmes, " c'est toujours la guerre ". Il suffit juste " d'attendre assez longtemps, et c'est l'effondrement, et à petit feu ou en un rien de temps, la fin survient. " À petit feu : Ingeborg Bachmann ne pouvait mieux l'écrire, elle qui dans ce combat sans sauvetage, s'est littéralement consumée jusqu'à en mourir à l'âge de 47 ans.
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Dans cette éblouissante adaptation du roman d’Ingeborg Bachmann Schroeter offre un rôle en or à Isabelle Huppert et flambe le plus gros budget de sa carrière sans rien renier de son style et de sa liberté créatrice.
L’argument :Prise entre deux hommes, Malina, son ange gardien ou peut-être son double masculin, et Ivan, son amour impossible, une femme, philosophe et romancière, se consume par le feu de son intelligence, de sa liberté sans limites et de sa difficulté à créer qui déchaînent une passion dévorante et folle, jusqu’à l’autodestruction.
Adapter au cinéma Malina (1971) l’unique roman d’Ingeborg Bachmann (1926-1973) figure majeure de la littérature autrichienne du vingtième siècle, était une gageure. En effet cette autobiographie imaginaire se présente comme un collage plus poétique que narratif de fragments de récits, de lettres, de fausses interviews, de scènes dialoguées ou encore de descriptions oniriques, et ne se prête guère à un traitement dramatique classique.
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Isabelle Huppert jouant le rôle de l'héroïne du roman, qui meurt brûlée dans sa maison de Vienne, comme la romancière. Ingeborg Bachmann meurt en effet, brûlée vive dans sa chambre d'hôtel à Rome, le 17 octobre 1973. S'agit-il d'un accident, ou de ce que Stig Dagerman appelait l'« accident de travail » de l'écrivain : le suicide ?
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