L'Enfer du Roman - Richard Millet
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L'amour mendiant, Richard Millet
Dans La Fiancée libanaise, roman sur les femmes, le désir et les pays perdus, Millet fait référence plusieurs fois au Mendiant amoureux. Il est question de L'Amour mendiant, notes sur le désir, récit fragmentaire, à la manière de L'Opprobre, qui nous offre des réflexions, des maximes, des souvenirs sur l'amour et le désir. Plusieurs prénoms de femmes (Céline, Geneviève, Mathilde, Anna...) apparaissent, il n'est jamais question de la même qui revient. Il a le désir fort, fuyant, multiforme (ou polyphonique, comme il le dit lui-même). Le sexe, les corps qui jouissent font partie de son écriture puisque souvent, cette façon de se libérer le soulage de ces longs moments de solitude imposés à l'écrivain.
On ressent aussi cette frustration du désir, qui arrive souvent, de voir une belle femme qu'on n'aura jamais.
On ressent aussi cette frustration du désir, qui arrive souvent, de voir une belle femme qu'on n'aura jamais.
“Le désir ne vise que l’éternité, c’est-à-dire sa déception.”
“Il fait un temps de fin d’amour - un amour qui n’aura pas vraiment trouvé son cours, faute de m’être rendu aimable”
Kashima- Faux-monnayeur
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Millet sur Radio Courtoisie
http://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/richard-millet-avec-emmanuel-36398
Kashima- Faux-monnayeur
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Intérieur avec deux femmes, Richard Millet
Richard Millet, alias Pascal Bugeaud , est invité en Hollande pour participer à ce qu'il déteste : une rencontre culturelle. Pourtant, il a accepté d'y aller. Ce bref voyage l'éloignera de celle qui le quitte ou qu'il quitte, Alix.
Dans le train qui le mène à Amsterdam, assis dans le wagon de première classe où se trouvent aussi des écrivains, des éditeurs, des journalistes qui s'ignorent du mieux qu'ils peuvent,
"Ne pas voir autrui, ne pas lire les autres, tout en sachant qui est qui, tout cela fait partie du comportement parisien, particulièrement du milieu littéraire, les autres milieux n’étant pas en reste, d’ailleurs."
il repense à tout ce qui a construit son imaginaire de la Hollande : les peintres, les écrivains. Dans son enfance, à Siom, les intérieurs faisaient songer à certains tableaux de ces peintres hollandais. Après avoir vu observé plusieurs personnes dans le wagon, en particulier cet écrivain à tête de rat, il ouvre Dominique d'Eugène Fromentin et se plonge dans le paysage rêvé. Soudain, c'est le choc : de la Hollande, la première chose vue à Rotterdam est une immense mosquée, et cette vision le ramène à l'idée de l'islamisation de l'Europe qu'il redoute et qui se fait subrepticement, soutenue par la loi des droits de l'homme et des minorités.
"Des musulmans en tout cas bien décidés à ne pas s'assimiler à un monde encore régi culturellement par le christianisme mais dont ils sentent qu'ils peuvent précipiter la fin, pensais-je, indigné par la vision de cette mosquée, et me demandant comment les Hollandais de souche, malgré leur tradition de tolérance, supportent la vue d'un édifice qui non seulement ruinait la vision que je m'étais forgée de ce pays, par la peinture comme par l'architecture, la philosophie et la musique, mais atteignait aussi son essence ; cette greffe ne prend pas, et ce qui est admirable à Istanbul, Rabat ou Damas, est une hérésie en terre chrétienne."
Il chasse ces pensées, se redresse, le train s'est arrêté. Il ne peut oublier Alix qu'il vient de quitter, la fin de leur histoire. Ce séjour sera fait de l'attente de l'un de ses messages, de la visite du Rijksmuseum, de la rencontre d'Elsje, romancière et traductrice, et du souvenir d'un prochain amour, Maria Luisa, chilienne qui travaille à la traduction de l'une de ses œuvres.
“J’avais pendant longtemps rêvé à l’amour avant de le connaître et continué à le rêver pendant que je le vivais ; si bien que je me demande si ce n’est pas la meilleure façon de le vivre, du moins la plus pure.”
“Je n’habite jamais tout à fait là où je me trouve, ayant renoncé à bâtir ma demeure ailleurs que dans l’écriture, qui n’est qu’un château de sable, m’avait un jour dit ma mère, avec l’air de suggérer que c’est peut-être là ce qui nous échoit de plus solide.”
Intérieur avec deux femmes, Pieter de Hooch, Rijksmuseum Amsterdam
Ce récit bref de Millet est écrit dans ce beau style qui lui est propre, avec des phrases longues et si bien structurées qu'on aime se laisser emporter par sa prose. Ses pensées sur la société actuelle, son amour pour les femmes sont là, comme furtivement sa soeur, sa mère, Pythre, Siom. La littérature, la musique, la peinture forment les lieux et les paysages. Un plaisir de lecture, encore une fois.
Kashima- Faux-monnayeur
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Une artiste du sexe
Deux livres parus la semaine dernière :
L'Être-boeuf (sur les rapports de Millet à la viande) et Une artiste du sexe.
L'Être-boeuf (sur les rapports de Millet à la viande) et Une artiste du sexe.
Kashima- Faux-monnayeur
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Une artiste du sexe
Sebastian est américain. Il est venu à Paris pour écrire en français, laisser derrière lui sa langue et le trou perdu où il est né.
Le roman s'ouvre sur ces mots : "La place Dauphine est un vagin."
Dans ce quartier de Paris, Sebastian va souvent se promener, et il rentre la nuit avec Rebecca, jeune Danoise de formation astrophysicienne, qui se veut aussi écrivain.
Il reste en bas de la porte de son immeuble. Rebecca est une femme étrange, qui ne semble pas inspirer le même désir que les autres.
Pour une fois, ce livre n'est pas écrit au "je" de Millet ni de "Bugeaud", son double littéraire. Pascal Bugeaud est pourtant présent : l'auteur en fait un personnage pas très agréable, vicieux, égoïste, misanthrope aussi.
Divisé en trois parties, ce roman n'est pas écrit comme les autres livres de Millet puisqu'il tente de se mettre dans la peau d'un Américain qui s'essaie à la langue française. On n'y retrouve pas la lancinance si belle qui creuse le souvenir et le mêle habilement au présent.
La dernière partie se passe dans un pavillon de chasse. L'ambiance est pesante et étrange. Le cousin chasseur vient de ramener une biche qu'il a tuée : il la dépèce, prend son coeur à pleine main et dit, dans sa grossièreté d'homme rustre :
"J'aime lécher le foie, le coeur, les reins quand ils sont encore chauds. Rien n'est plus doux, sinon la nacre qui est entre vos jambes, mesdames."
Une phrase, même, m'a fait frémir. Ils sont tous attablés (le chasseur, sa femme, Sebastian, Rebecca, Bugeaud et Jimmy, jeune Américain qui accompagne Rebecca) :
"Le cousin a fait cuire des morceaux de biche dans une poêle. (...) Il avait bu beaucoup de bière. Il prétendait couper la tête de la biche afin de lui faire présider le dîner de ses yeux morts et pleins de larmes."
J'ai été moins touchée que d'habitude, et Rebecca, bizarrement, me dégoûtait physiquement plus qu'elle ne m'attirait, ne serait-ce que par le lieu sordide où elle vivait.
Quelques extraits :Le roman s'ouvre sur ces mots : "La place Dauphine est un vagin."
Dans ce quartier de Paris, Sebastian va souvent se promener, et il rentre la nuit avec Rebecca, jeune Danoise de formation astrophysicienne, qui se veut aussi écrivain.
Il reste en bas de la porte de son immeuble. Rebecca est une femme étrange, qui ne semble pas inspirer le même désir que les autres.
Pour une fois, ce livre n'est pas écrit au "je" de Millet ni de "Bugeaud", son double littéraire. Pascal Bugeaud est pourtant présent : l'auteur en fait un personnage pas très agréable, vicieux, égoïste, misanthrope aussi.
Divisé en trois parties, ce roman n'est pas écrit comme les autres livres de Millet puisqu'il tente de se mettre dans la peau d'un Américain qui s'essaie à la langue française. On n'y retrouve pas la lancinance si belle qui creuse le souvenir et le mêle habilement au présent.
La dernière partie se passe dans un pavillon de chasse. L'ambiance est pesante et étrange. Le cousin chasseur vient de ramener une biche qu'il a tuée : il la dépèce, prend son coeur à pleine main et dit, dans sa grossièreté d'homme rustre :
"J'aime lécher le foie, le coeur, les reins quand ils sont encore chauds. Rien n'est plus doux, sinon la nacre qui est entre vos jambes, mesdames."
Une phrase, même, m'a fait frémir. Ils sont tous attablés (le chasseur, sa femme, Sebastian, Rebecca, Bugeaud et Jimmy, jeune Américain qui accompagne Rebecca) :
"Le cousin a fait cuire des morceaux de biche dans une poêle. (...) Il avait bu beaucoup de bière. Il prétendait couper la tête de la biche afin de lui faire présider le dîner de ses yeux morts et pleins de larmes."
J'ai été moins touchée que d'habitude, et Rebecca, bizarrement, me dégoûtait physiquement plus qu'elle ne m'attirait, ne serait-ce que par le lieu sordide où elle vivait.
"La puanteur de l’ail me paraissant une insulte à la beauté des femmes."
"La parole est la source de nos peines, avec le sexe qui jette les coeurs dans un froid plus intense et interminable que celui de l’hiver."
"J’avais donc oublié Rebecca pendant les semaines qui avaient suivi sa visite, rue Corneille, comme c’est fréquent dans les rencontres décisives ; en vérité, elle s’était logée dans cette partie de mon esprit où elle attendait secrètement son heure, c’est-à-dire un événement qui la rappellerait à moi."
"J’écris d’ailleurs pour savoir si l’amour, comme toute entreprise littéraire, n’est pas une sorte de cérémonial funèbre."
"Écrire, c’est tenter d’épuiser une matière donnée."
"Et qui me faisait me demander si ce n’était pas d’elle-même qu’elle jouissait, au sein de ses hantises, oui, si ce n’était pas à son propre Minotaure qu’elle aimait, par-dessus tout, se sacrifier, tout à la fois Ariane et Thésée, Dédale et Pasiphaé"
"Le destin, pour peu qu’on l’invoque avec des fautes de grammaire, est une grimace du Démon."
"Comme Rimbaud, elle redoutait par-dessus tout de s’ ennuyer : sa vie était donc un perpétuel sacrifice, sachant qu’on n’échappe à soi qu’en s’en remettant au hasard, c’est-à-dire au pire, ou à l’incendie - à ce dans quoi nous sommes plus sûrs de disparaître que d’accéder à ce qu’on s’obstine à appeler le bonheur."
- Un fantôme… Nous sommes voués, vous et moi, à être des fantômes l’un pour l’autre.
- Retrouvailles obligatoires, alors, pour le jour de l’automne.
Ce livre m'a fait lire L'attente, l'oubli et fait connaître l'existence d'un film d'Otto Preminger : Laura.
Kashima- Faux-monnayeur
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«J'envisage de quitter cette France que j'aime»
http://www.lefigaro.fr/livres/2013/10/16/03005-20131016ARTFIG00591-richard-millet-j-envisage-de-quitter-cette-franceque-j-aime.php
INTERVIEW - L'écrivain et éditeur se confie, un an après la controverse dont il fut l'objet.
Un peu plus d'un an après ce qu'on a appelé «l'affaire Millet», l'écrivain prolifique, éditeur prestigieux chez Gallimard, revient avec trois nouveaux livres publiés simultanément, tout comme en 2011 et en 2012. À cette occasion, nous l'avons rencontré dans les bureaux de son autre éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, qui avait publié en 2012 l'objet du délit: Langue fantôme suivi d'Éloge littéraire d'Anders Breivik.
LE FIGARO. - Vous considérez-vous comme une victime ou comme un incompris?
Richard MILLET.- Ce qui s'est passé il y a un peu plus d'un an a totalement bouleversé ma vie. À travers cette curée organisée, cette véritable chasse à l'homme, on a visé l'écrivain, et c'est l'un des éditeurs de Gallimard qui a trinqué. Certains ont voulu me faire payer ma liberté de parole sur la littérature française et sur certaines têtes d'affiche. Mais ce qui m'a le plus choqué et ébranlé, c'est qu'Éloge littéraire d'Anders Breivik n'ait pas été lu par mes détracteurs, ni même feuilleté, tout comme De l'antiracisme comme terreur littéraire, paru le même jour. J'ai été victime de l'opprobre jetée par une poignée d'écrivaillons et de journalistes, condamné au bannissement, et ce, à partir d'une non-lecture. Avec l'épilogue que l'on sait: ma démission contrainte et forcée du comité de lecture de Gallimard, maison où je suis désormais interdit de séjour, malgré le soutien d'Antoine Gallimard. Tout cela faisait désordre… J'y reste simple lecteur et éditeur. Désormais, on m'envoie les manuscrits par coursier…
Comment voyez-vous les choses, aujourd'hui?
J'ai songé et d'ailleurs j'envisage toujours de partir, de m'exiler, de quitter cette France que j'aime mais où presque plus rien n'est possible, où tout se délite, où le climat social est devenu délétère. Le Liban, où j'ai passé ma jeunesse, est une tentation. J'y réfléchis. Pourquoi, en 2012, ne m'a-t-on pas donné la parole pour me défendre, m'expliquer, à part le magazine L'Express? Il n'y a eu aucun débat. Qu'en est-il de la défaite de la pensée? De la décadence de l'Occident? Il est devenu impossible d'évoquer ces grandes questions, tout comme les problèmes liés à l'immigration massive, sans être traité de fasciste. C'est un comble! On ne sait plus supporter le réel, sa noirceur. Il fallait une mise à mort symbolique. J'étais le coupable idéal. Finalement, cette lamentable «affaire» s'est révélée un symptôme, un révélateur de la déliquescence généralisée de notre société.
Suite à cette «affaire», avez-vous eu des regrets?
Je vis désormais dans une solitude extraordinaire, et je souligne l'épithète. Tout simplement, je voudrais être lu comme un écrivain et non être considéré comme un affreux, un pestiféré.
Je rappellerai que seuls deux grands réfractaires, Gabriel Matzneff et Renaud Camus, sans oublier Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011), que j'ai édité chez Gallimard, m'ont publiquement soutenu.
Depuis votre premier roman, L'Invention du corps de saint Marc, paru chez POL en 1983, pensez-vous être parvenu à la fin d'un cycle?
J'ai surtout le sentiment qu'une page de ma vie s'est tournée, définitivement. Avec Une artiste du sexe, je pense avoir fait le tour du roman. C'est un genre très fatigué. Franchement, depuis dix ans, je n'ai rien lu qui m'ait vraiment enthousiasmé ou transporté, même si j'ai beaucoup d'estime pour l'œuvre de Javier Marias ou de l'Estonienne Viivi Luik. Depuis cet été, je fais mon retour vers la poésie. Ça concentre tout ce qui m'intéresse, y compris le spirituel. C'est vital pour moi. J'ai déjà composé une centaine de poèmes, qui probablement seront publiés un jour. La poésie du XXe siècle ne m'a jamais quitté, celle de La Descente de l'Escaut de Franck Venaille, celle endiablée et vertigineuse de Christophe Tarkos, disparu prématurément, celle de Jude Stefan, digne héritier de Catulle et des petits maîtres baroques, sans oublier Pierre Jean Jouve ou le Franco-Roumain Benjamin Fondane, assassiné à Auschwitz. Je pourrais en citer tant d'autres. La liste est longue. Mon regain d'intérêt pour la poésie se manifestait déjà dans mon essai Esthétique de l'aridité, qui prône un cheminement vers les cimes, à travers l'ascèse et la frugalité. À l'opposé de la dictature actuelle de l'hédonisme à tout crin.
Dans cet essai paru chez Fata Morgana, vous affirmiez: «Je participe de la grande misère contemporaine - laquelle est avant tout spirituelle.» C'est toujours vrai?
Oui, et plus que jamais. Et le spectacle de cette grande misère me désespère. Reste le recours au poème ou à l'isolement total…
INTERVIEW - L'écrivain et éditeur se confie, un an après la controverse dont il fut l'objet.
Un peu plus d'un an après ce qu'on a appelé «l'affaire Millet», l'écrivain prolifique, éditeur prestigieux chez Gallimard, revient avec trois nouveaux livres publiés simultanément, tout comme en 2011 et en 2012. À cette occasion, nous l'avons rencontré dans les bureaux de son autre éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, qui avait publié en 2012 l'objet du délit: Langue fantôme suivi d'Éloge littéraire d'Anders Breivik.
LE FIGARO. - Vous considérez-vous comme une victime ou comme un incompris?
Richard MILLET.- Ce qui s'est passé il y a un peu plus d'un an a totalement bouleversé ma vie. À travers cette curée organisée, cette véritable chasse à l'homme, on a visé l'écrivain, et c'est l'un des éditeurs de Gallimard qui a trinqué. Certains ont voulu me faire payer ma liberté de parole sur la littérature française et sur certaines têtes d'affiche. Mais ce qui m'a le plus choqué et ébranlé, c'est qu'Éloge littéraire d'Anders Breivik n'ait pas été lu par mes détracteurs, ni même feuilleté, tout comme De l'antiracisme comme terreur littéraire, paru le même jour. J'ai été victime de l'opprobre jetée par une poignée d'écrivaillons et de journalistes, condamné au bannissement, et ce, à partir d'une non-lecture. Avec l'épilogue que l'on sait: ma démission contrainte et forcée du comité de lecture de Gallimard, maison où je suis désormais interdit de séjour, malgré le soutien d'Antoine Gallimard. Tout cela faisait désordre… J'y reste simple lecteur et éditeur. Désormais, on m'envoie les manuscrits par coursier…
Comment voyez-vous les choses, aujourd'hui?
J'ai songé et d'ailleurs j'envisage toujours de partir, de m'exiler, de quitter cette France que j'aime mais où presque plus rien n'est possible, où tout se délite, où le climat social est devenu délétère. Le Liban, où j'ai passé ma jeunesse, est une tentation. J'y réfléchis. Pourquoi, en 2012, ne m'a-t-on pas donné la parole pour me défendre, m'expliquer, à part le magazine L'Express? Il n'y a eu aucun débat. Qu'en est-il de la défaite de la pensée? De la décadence de l'Occident? Il est devenu impossible d'évoquer ces grandes questions, tout comme les problèmes liés à l'immigration massive, sans être traité de fasciste. C'est un comble! On ne sait plus supporter le réel, sa noirceur. Il fallait une mise à mort symbolique. J'étais le coupable idéal. Finalement, cette lamentable «affaire» s'est révélée un symptôme, un révélateur de la déliquescence généralisée de notre société.
Suite à cette «affaire», avez-vous eu des regrets?
Je vis désormais dans une solitude extraordinaire, et je souligne l'épithète. Tout simplement, je voudrais être lu comme un écrivain et non être considéré comme un affreux, un pestiféré.
Je rappellerai que seuls deux grands réfractaires, Gabriel Matzneff et Renaud Camus, sans oublier Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011), que j'ai édité chez Gallimard, m'ont publiquement soutenu.
Depuis votre premier roman, L'Invention du corps de saint Marc, paru chez POL en 1983, pensez-vous être parvenu à la fin d'un cycle?
J'ai surtout le sentiment qu'une page de ma vie s'est tournée, définitivement. Avec Une artiste du sexe, je pense avoir fait le tour du roman. C'est un genre très fatigué. Franchement, depuis dix ans, je n'ai rien lu qui m'ait vraiment enthousiasmé ou transporté, même si j'ai beaucoup d'estime pour l'œuvre de Javier Marias ou de l'Estonienne Viivi Luik. Depuis cet été, je fais mon retour vers la poésie. Ça concentre tout ce qui m'intéresse, y compris le spirituel. C'est vital pour moi. J'ai déjà composé une centaine de poèmes, qui probablement seront publiés un jour. La poésie du XXe siècle ne m'a jamais quitté, celle de La Descente de l'Escaut de Franck Venaille, celle endiablée et vertigineuse de Christophe Tarkos, disparu prématurément, celle de Jude Stefan, digne héritier de Catulle et des petits maîtres baroques, sans oublier Pierre Jean Jouve ou le Franco-Roumain Benjamin Fondane, assassiné à Auschwitz. Je pourrais en citer tant d'autres. La liste est longue. Mon regain d'intérêt pour la poésie se manifestait déjà dans mon essai Esthétique de l'aridité, qui prône un cheminement vers les cimes, à travers l'ascèse et la frugalité. À l'opposé de la dictature actuelle de l'hédonisme à tout crin.
Dans cet essai paru chez Fata Morgana, vous affirmiez: «Je participe de la grande misère contemporaine - laquelle est avant tout spirituelle.» C'est toujours vrai?
Oui, et plus que jamais. Et le spectacle de cette grande misère me désespère. Reste le recours au poème ou à l'isolement total…
Kashima- Faux-monnayeur
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Charlotte Salomon
La lettre à Luc Bondy, qui précède Charlotte Salomon, explique comment est né le texte qui est proposé au lecteur. Malheureusement, elle est aussi l'histoire d'une autre trahison vécue par Richard Millet. Suite à ce qu'on appelle "l'affaire Millet", l'écrivain et éditeur s'est vu banni du monde littéraire. Ayant déjà écrit un livret d'opéra, il est de nouveau sollicité pour une pièce dont la musique est de Dalbavie. Il recontre le directeur du théâtre de l'Odéain, Luc Bondy et trouve même un soutien en cet homme qui semble déplorer le lynchage dont il a été victime en 2013.
Pourtant, quelque temps plus tard, celui-ci a la lâcheté de demander à quelqu'un d'autre ce livret d'opéra car, en Allemagne où doit être créée l'oeuvre, la polémique commence à naître (toujours la même concernant Langue fantôme), faisant de Millet, sans avoir lu son livre, presque le "bras armé" du tueur Breivik. Cette lettre est là pour exprimer sa déception, cette nouvelle trahison mais, comme il le dit lui-même :
"La plainte, Monsieur, ne fait pas partie de ma nature. Je suis un combattant peu disposé à regretter mes actes, encore moins à me renier."
Richard Millet avait très vite accordé sa confiance à Luc Bondy puisque celui-ci ne connaissait pas son nom, avait été lui même victime d'une cabale* lors de sa nomination à l'Odéon, et il avait aimé son livret achevé en 2012.
Dalbavie avait demandé à Millet un livret dont l'héroïne devrait être une femme. Millet avait décidé d'écrire sur Charlotte Salomon**, jeune artiste juive assassinée à Auschwitz en 1943 alors qu'elle était enceinte. Ses dessins et peintures avaient été confiés à un médecin avant sa déportation.
Extraits :
“L’ été est encore là. Et quand il aura disparu, il sera dans mes toiles.”
“Est-ce que vous m’aimez? Non, ne répondez pas tout de suite. J’ai besoin de rêver à votre réponse. Ce sont là des mots capables de nous faire choir de part et d’autre d’une ligne d’ombre.”
“Charlotte.- Vous ne répondez pas : Eurydice n’a-t-elle aucune importance? Wolfsohn.- Elle est ce que tout homme ne cesse de perdre. Le toujours perdu de l’amour…”
* Accusé d'avoir été choisi directement par l'Elysée de Nicolas Sarkozy, et d'avoir ainsi fait débarquer le directeur en titre, Olivier Py, qui briguait un second mandat, le metteur en scène a été attaqué non sur son talent - que nul ne conteste - mais sur son âge, 63 ans au moment de sa prise de fonctions, en mars 2012, jugé trop proche de la limite des 65 ans imposée par la loi. Ce n'était pas sérieux, disait-on, parce qu'il ne pourrait faire qu'un mandat de cinq ans (avec une dérogation), et qu'une direction conséquente se construit sur le long terme.
Source : Le Monde
** Charlotte Salomon naît à Berlin le 16 avril 1917. Elle est la fille unique du docteur Albert Salomon et de son épouse Franziska Grunwald. Charlotte a neuf ans lorsque sa mère se suicide Quatre ans plus tard, son père se remarie avec la cantatrice Paula Lindberg, alias Lévy, qui avait changé de nom pour entrer au conservatoire. En 1933, Hitler accède au pouvoir et la situation des juifs s’aggrave. Charlotte ne veut plus aller au lycée où les attaques antisémites se multiplient. Admise à l’Académie des Beaux-arts de Berlin, elle y obtient un prix qui sera plus tard révoqué pour raisons raciales. En 1939, avant ses vingt et un ans, son père l’envoie en France rejoindre ses grands-parents maternels, les Grunwald, à Villefranche-sur-Mer. Eux-mêmes sont hébergés depuis plusieurs années par Ottile Moore, une américaine d’origine allemande, qui a déjà recueilli plusieurs enfants dans sa villa l’Ermitage. Charlotte Salomon fait alors partie des nombreux juifs allemands qui pensent encore trouver en France une terre d’asile contre les persécutions nazies. En 1940, la grand-mère de Charlotte décède. Son grand-père s’installe alors à Nice. Charlotte, elle, reste à Villefranche-sur-Mer où elle commence un journal pictural. A travers des centaines de gouaches aux couleurs vives elle tente de donner un sens à sa vie, à l’époque où la vie des juifs en manque cruellement. L’année suivante, les restrictions se durcissent. Ottile Moore décide de repartir aux États-Unis, amenant avec elle dix des enfants qu’elle avait adoptés. Charlotte reste dans la maison de Villefranche en compagnie d’Alexander Nagler, un réfugié juif autrichien muni de faux papiers, qui tente tant bien que mal de pourvoir à leurs besoins. De novembre 1942 à septembre 1943, Nice est occupée par les Italiens et la vie y est un peu moins difficile pour les juifs que dans le reste de la France. Lorsque les Allemands occupent à leur tour la ville, les persécutions s’aggravent et les arrestations se multiplient. Très affaibli, le grand-père de Charlotte décède à Nice où il est enterré en février 1943. Alexander et Charlotte continuent à vivre à l’Ermitage, en vase clos et deviennent très dépendants l’un de l’autre. Ils se marient le 20 mai 1943 à la mairie de Nice. Alexander est contraint d’y déposer ses faux papiers d’identité. Ils se savent dès lors recherchés par la police et se cachent à Nice.
Malgré le danger, ils retournent parfois à l’Ermitage, ce qui causera leur perte. Le 21 septembre 1943, à sept heures du soir, des voisins entendent leurs cris avant qu’ils ne soient emmenés dans un camion de la Gestapo. Charlotte et Alexander Nagler sont inscrits sur la liste du convoi n° 60 du 7 octobre 1943 pour Auschwitz. Ils ne reviendront pas. Charlotte Salomon est assassinée à Auschwitz le 10 octobre 1943, Alexander Nagler trois mois plus tard, le 1er janvier 1944.A Villefranche-sur-Mer, Charlotte Salomon avait confié à un ami médecin l’ensemble de ses œuvres constitué de plus de mille trois cents feuillets, dont sept cent cinquante gouaches. La guerre terminée, son père et sa belle-mère les récupèrent. Ils les gardèrent pendant près de dix ans dans des cartons avant de les confier au Musée d’Amsterdam qui en fit don au musée juif de la ville. Les œuvres de Charlotte Salomon sont exposées pour la première fois à Amsterdam en 1961. L’année suivante, elles sont présentées dans des musées israéliens de Tel-Aviv et de EinHarod.
En 1963, le critique d’art new-yorkais Paul Tillich lui consacre un premier ouvrage, Charlotte Salomon, « a Diary in pictures ». Ses dessins et ses gouaches sont ensuite exposés en Allemagne et aux Etats-Unis. Il faut attendre 1992 pour que la France, où elle avait réalisé la majeure partie de son œuvre, l’honore à son tour. Du 23 septembre 1992 au 3 janvier 1993, à Paris, le Musée National d’Art Moderne du centre Georges Pompidou présente une sélection de deux cents gouaches de Charlotte Salomon. Son passé en Allemagne et son séjour en France y sont représentés : le mariage de ses parents, ses jeux de petite fille et ses anniversaires à Berlin, l’entrée des nazis dans son école, l’arrestation de son père, elle-même en train de peindre devant la Méditerranée avec la légende : «Je ne peux supporter cette vie, je ne peux supporter cette époque». L’année de cette exposition, le cinéaste suisse Richard Dindo lui consacre un très beau documentaire, Charlotte, vie ou théâtre. On a parfois comparé le journal pictural de Charlotte Salomon au Journal d’Anne Frank, morte elle aussi en déportation. Les écrits d’Anne Frank sont ceux d’une adolescente, alors que l’œuvre de Charlotte Salomon est celle d’une jeune femme qui avait vingt-trois ans lorsqu’elle commença son autobiographie picturale. C’est aussi le travail d’une artiste confirmée, formée à l’Académie des Beaux-arts de Berlin. Pour tenter de survivre à l’horreur, elle avait expérimenté un art total en insérant dans ses peintures des textes et des notations musicales. Le Journal d’Anne Frank a été traduit dans le monde entier ; il est regrettable que l’œuvre peinte de Charlotte Salomon reste encore tout à fait confidentielle en France.
Source : Israel Actu
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L'Etre boeuf
Richard Millet clame son amour de la viande, particulièrement la viande de boeuf.
Il clame son goût du sang, de la viande de boeuf, de cheval, déplorant la disparition des boucheries chevalines ; il explique que le clivage qu'il doit y avoir entre l'homme et la "bête" est indispensable, son amour de la corrida ; il critique ce qu'il appelle la sensiblerie pour les animaux, reliant tout cela au Nouvel ordre moral. Là-dessus, je ne le suis pas du tout...
C'est bien écrit, comme toujours, mais très peu pour moi qui ai une vision du sujet totalement opposée... Ce qui m'a le plus choquée comme exemple et m'a amenée à réfléchir pour constater que l'affirmation est infondée : c'est que les animaux n'auraient pas de visage. Richard Millet accuse les gens de notre époque de verser dans l'anthropomorphisme mais, sur ce point, je l'accuserais à mon tour d'anthropocentrisme : l'homme n'est pas le modèle de tout, n'est pas l'être de la création au-dessus des autres. Pourquoi le chien, le chat, la vache n’auraient-ils pas de visages? Quelle est la définition du visage? D'accord, on n'emploie pas ce terme habituellement pour des animaux, mais est-ce un argument? J'ai plus tendance à dire d'une chienne qu'elle est enceinte que gestante ; et le rire, propre de l'homme, est presque une affirmation contestable elle aussi bien que Millet n'en soit pas l'auteur. Oui, si à défaut de rire (et encore, je n'en suis pas sûre car je vois du rire dans certains aboiements), les chiens sourient.
Ce qui fait que le livre reste quand même un plaisir bien que ce qui s'y dit soit contraire à ce que je pense, c'est que Millet va au-delà de la réflexion terre à terre : il convoque la mythologie pour arriver, à la fin, à la vision d'un homme qui serait l'"être-boeuf", rempli de lui-même, presque autofécondé.
Il clame son goût du sang, de la viande de boeuf, de cheval, déplorant la disparition des boucheries chevalines ; il explique que le clivage qu'il doit y avoir entre l'homme et la "bête" est indispensable, son amour de la corrida ; il critique ce qu'il appelle la sensiblerie pour les animaux, reliant tout cela au Nouvel ordre moral. Là-dessus, je ne le suis pas du tout...
C'est bien écrit, comme toujours, mais très peu pour moi qui ai une vision du sujet totalement opposée... Ce qui m'a le plus choquée comme exemple et m'a amenée à réfléchir pour constater que l'affirmation est infondée : c'est que les animaux n'auraient pas de visage. Richard Millet accuse les gens de notre époque de verser dans l'anthropomorphisme mais, sur ce point, je l'accuserais à mon tour d'anthropocentrisme : l'homme n'est pas le modèle de tout, n'est pas l'être de la création au-dessus des autres. Pourquoi le chien, le chat, la vache n’auraient-ils pas de visages? Quelle est la définition du visage? D'accord, on n'emploie pas ce terme habituellement pour des animaux, mais est-ce un argument? J'ai plus tendance à dire d'une chienne qu'elle est enceinte que gestante ; et le rire, propre de l'homme, est presque une affirmation contestable elle aussi bien que Millet n'en soit pas l'auteur. Oui, si à défaut de rire (et encore, je n'en suis pas sûre car je vois du rire dans certains aboiements), les chiens sourient.
Ce qui fait que le livre reste quand même un plaisir bien que ce qui s'y dit soit contraire à ce que je pense, c'est que Millet va au-delà de la réflexion terre à terre : il convoque la mythologie pour arriver, à la fin, à la vision d'un homme qui serait l'"être-boeuf", rempli de lui-même, presque autofécondé.
Kashima- Faux-monnayeur
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Trois légendes, Millet
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Richard Millet raconte trois histoires qui ont eu lieu à Siom ou dans ses alentours, dans la campagne limousine.
La première histoire, La Louve, est la plus poétique : un homme aime le violon depuis son enfance. ne pouvant poursuivre ses études, il est devenu cordonnier mais en échange de ce renoncement, il a demandé à son père un violon. Ce dernier lui a ramené un instrument, un alto et non pas un violon, ce qui donnait une gravité non voulue à sa musique et à son chant.
Un soir qu'il revient ivre d'une fête, les loups le guettent dans la forêt. Il décide de leur jouer un air de musique, et la horde le suit, comme l'auraient fait des chiens. La fin fend le coeur...
“Nos rêves s’effondrent comme les vieux murs et nous n’avons rien à redouter de la mort.”
“Et lui, le musicien harassé, il entonnait des chansons d’amour dans la nuit glaciale pour se redonner du coeur et tenir la horde à distance.”
Les frères Cavalier est une histoire d'attente : tout un village attend le retour de deux frères, partis à la Guerre à cheval alors qu'ils ont peu de chance d'en revenir tous les deux vivants.
Dans Forêt perdue, une jeune institutrice décide de braver un interdit : pénétrer dans une forêt qui appartient à Ragnard, un homme étrange et à part qu'on n'aime pas au village...
“Le reste du temps, nous espérions atteindre la condition du granit ou du bois, ou encore l’heureuse inconsistance des nuages.”
Ces trois textes sont écrits dans une très belle langue. L'ensemble est sombre et crée un drôle de pincement après la lecture, comme s'il y avait partout de la mélancolie.
Kashima- Faux-monnayeur
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Trois légendes, Millet
Richard Millet raconte trois histoires qui ont eu lieu à Siom ou dans ses alentours, dans la campagne limousine.
La première, La Louve, est la plus poétique : un homme aime le violon depuis son enfance. Ne pouvant poursuivre ses études, il est devenu cordonnier mais en échange de ce renoncement, il a demandé à son père un violon. Ce dernier lui a ramené un instrument, un alto et non pas un violon, ce qui donnait une gravité non voulue à sa musique et à son chant.
Un soir qu'il revient ivre d'une fête, les loups le guettent dans la forêt. Il décide de leur jouer un air de musique, et la horde le suit, comme l'auraient fait des chiens. La fin fend le coeur...
“Nos rêves s’effondrent comme les vieux murs et nous n’avons rien à redouter de la mort.”
“Et lui, le musicien harassé, il entonnait des chansons d’amour dans la nuit glaciale pour se redonner du coeur et tenir la horde à distance.”
Les frères Cavalier est une histoire d'attente : tout un village attend le retour de deux frères, partis à la Guerre à cheval alors qu'ils ont peu de chance d'en revenir tous les deux vivants.
Dans Forêt perdue, une jeune institutrice décide de braver un interdit : pénétrer dans une forêt qui appartient à Ragnard, un homme étrange et à part qu'on n'aime pas au village...
“Le reste du temps, nous espérions atteindre la condition du granit ou du bois, ou encore l’heureuse inconsistance des nuages.”
Ces trois textes sont écrits dans une très belle langue. L'ensemble est sombre et crée un drôle de pincement après la lecture, comme s'il y avait partout de la mélancolie.
Kashima- Faux-monnayeur
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Sibelius, Richard Millet
Ce livre est fait pour les personnes passionnées de musique classique, et qui s'y connaissent très bien.
Toujours dans sa langue impeccable, Richard Millet raconte Sibelius, sans se livrer à l'exercice biographique. Il est question de sa création, de sa musique, de ses silences, du vol des cygnes sur des eaux gelées.
Il me manquait trop d'éléments pour y prendre vraiment plaisir, mais c'est un beau livre à conseiller aux musiciens et mélomanes.
“Il demeurait sous ses songes comme au-dessous des nuages. (…) Il fera en sorte qu’une lumière inouïe troue ces nuages.”
Toujours dans sa langue impeccable, Richard Millet raconte Sibelius, sans se livrer à l'exercice biographique. Il est question de sa création, de sa musique, de ses silences, du vol des cygnes sur des eaux gelées.
Il me manquait trop d'éléments pour y prendre vraiment plaisir, mais c'est un beau livre à conseiller aux musiciens et mélomanes.
“Il demeurait sous ses songes comme au-dessous des nuages. (…) Il fera en sorte qu’une lumière inouïe troue ces nuages.”
Kashima- Faux-monnayeur
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Le dernier écrivain, Richard Millet
Dans ce court essai, Richard Millet explique ce qu'est devenu la littérature de notre époque. Le dernier écrivain, c'est lui, et c'est aussi celui qui croit encore à la littérature, au recueillement, à la solitude, à l'absence.
Kashima- Faux-monnayeur
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Le corps politique de Gérard Depardieu, Richard Millet
La thèse est celle que Richard Millet développe dans la plupart de ses essais : la France est en train de s'éteindre, au profit d'un multiculturalisme qui lisse tout. Le culturel a remplacé la culture, l'horizontalité a remplacé la verticalité. Plus d'héritage, mais une sorte de mise sur le même plan de tout.
Depardieu incarne la France, mais aussi son reniement d'elle-même. Ces pages sont un hommage à l'acteur, à son corps et à sa présence et à sa place dans le cinéma français.
"Le dernier ouvrage de Millet est une magnifique méditation sur ce qu’est Gérard Depardieu : la France et sa négation tout à la fois. Depardieu est ce corps rabelaisien, cette voix profondément française dans toutes ses variations, dans toutes ses gammes, dans ses ondes, ses subtilités et ses sources, dans son coffre, et dans ce phrasé sublime ; il est cette voix qui nous parle et qui nous dit notre vérité à nous autres, Français ; Français-survivants qui refusons d’abandonner cette « citoyenneté dégradée par le multiculturalisme »."
http://www.bvoltaire.fr/yohannrimokh/livre-corps-politique-gerard-depardieu-richard-millet,131504
Depardieu incarne la France, mais aussi son reniement d'elle-même. Ces pages sont un hommage à l'acteur, à son corps et à sa présence et à sa place dans le cinéma français.
"Le dernier ouvrage de Millet est une magnifique méditation sur ce qu’est Gérard Depardieu : la France et sa négation tout à la fois. Depardieu est ce corps rabelaisien, cette voix profondément française dans toutes ses variations, dans toutes ses gammes, dans ses ondes, ses subtilités et ses sources, dans son coffre, et dans ce phrasé sublime ; il est cette voix qui nous parle et qui nous dit notre vérité à nous autres, Français ; Français-survivants qui refusons d’abandonner cette « citoyenneté dégradée par le multiculturalisme »."
http://www.bvoltaire.fr/yohannrimokh/livre-corps-politique-gerard-depardieu-richard-millet,131504
Kashima- Faux-monnayeur
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Cité perdue, Richard Millet
Cité perdue est un récit de voyage, d'un retour à Istanbul, la ville aux trois noms. Richard Millet a quitté le Liban en 1967. En 1995, il retourne en Turquie et visite la cité perdue dans un voyage littéraire.
Ce n'est pas la nostalgie qui l'accompagne, c'est la langue et les synesthésies.
“Pas de vert paradis, mais le désert de l’amour, déjà, le désespoir, la force du renoncement, le sombre parfum des roses dans le chant des morts, et bientôt l’écriture, le sacrifice, le frein à ronger, l’os, les orties, les ronces, le ciel trop bleu.”
“L’extrême beauté des femmes a je ne sais quoi d’exténuant, de désespérant.”
Kashima- Faux-monnayeur
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Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes
Je crains que le serpent ne se morde la queue : dans ce texte, Richard Millet s'adresse, entre autres, à ceux qui ne le lisent pas et qui ont fait partie de la meute hurlante, réclamant sa tête lors de ce qu'on appelle "l'affaire Millet".
Il revient sur les faits, tente d'expliquer comment on peut arriver à une telle haine envers quelqu'un sans même l'avoir lu, en fantasmant ce qu'il aurait pu écrire, en caricaturant, en ne s'attachant qu'à une infime partie de l'oeuvre.
Il revient sur le fait qu'on l'ait accusé de faire l'apologie du tueur Anders Breivik, de ne pas faire de cas de ses victimes. Pourtant, le titre n'était qu'une antiphrase qui était là pour illustrer la mort de la littérature et qui s'inscrivait dans un projet général de réflexion sur ce thème. Langue fantôme, Le sentiment de la langue, L'enfer du Roman, etc.
Il aurait fallu miser sur l'intelligence des lecteurs, ce qui est déjà tout un programme, mais en plus, on ne lit pas, on commente à partir des on-dit.
Il y a comme un consensus dans le faux monde des lettres : Richard Millet est persona non grata. Il est catalogué : extrême-droite, fasciste, raciste, parce qu'il ose réfléchir sur des problèmes de notre siècle : la déchristianisation de l'Europe, l'immigration extra-européenne massive et le multiculturalisme.
Une "vieille femme" (entendons Annie Ernaux) est parvenue à avoir sa peau en faisant signer une pétition contre lui afin qu'il soit renvoyé du comité de lecture Gallimard.
Ce qu'il écrit est terrifiant parce qu'on se met à la place de l'écrivain qu'une fausse rumeur, que la mauvaise foi à grande échelle, teintée de bien-pensance, a réussi à mettre à la marge. Richard Millet continue d'écrire, de publier, car c'est sa seule arme. Il ne peut que tenter de nommer encore et encore les choses face au mensonge qui n'en finit pas.
Il est plus que fréquent, d'ailleurs, de croiser des gens qui font la moue ou disent : "Tu lis un réac, toi?" alors qu'ils n'ont même pas ouvert un livre de lui, et surtout pas celui qui est l'objet du crime. Ces réactions sont vraiment symptomatiques de notre époque qui baigne dans le prêt-à-penser et le ventre mou de la démocratie, où l'on aime "parler de" sans avoir vu ni lu, en s'appuyant sur la doxa.
A retenir : un livre sorti récemment et qui s'intitule : L'Affaire Richard Millet. Critique de la bien-pensance (Muriel de Rengervé).
Kashima- Faux-monnayeur
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Israël depuis Beaufort
Richard Millet est catholique. Il a combattu au Liban, dans les rangs des phalangistes. Il a connu la guerre pour l'avoir faite. Dans ce livre, il fustige le nouveau marxisme qu'est "la cause palestinienne", caution de la haine du juif, le multiculturalisme qui a remplacé la culture, et il revient aussi sur certains faits de sa vie.
Un éloge d'Israël comme il fait plaisir d'en lire, dans la pensée toute prête ambiante.
"On me pardonnera donc d'employer le verbe émigrer dans un sens absolu, c'est-à-dire dans la douleur de la séparation : celle de voir, de mon côté, les juifs français quitter la France, et celle, pour moi, de ne savoir où émigrer, sinon en moi-même, dans ce site hors territoire qu'est la littérature."
"Israël demeure pour moi le pays d'en face, et Beaufort la citadelle intérieure d'où je le contemple."
Un éloge d'Israël comme il fait plaisir d'en lire, dans la pensée toute prête ambiante.
"On me pardonnera donc d'employer le verbe émigrer dans un sens absolu, c'est-à-dire dans la douleur de la séparation : celle de voir, de mon côté, les juifs français quitter la France, et celle, pour moi, de ne savoir où émigrer, sinon en moi-même, dans ce site hors territoire qu'est la littérature."
"Israël demeure pour moi le pays d'en face, et Beaufort la citadelle intérieure d'où je le contemple."
Kashima- Faux-monnayeur
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Province, Richard Millet
Même si je trouve toujours l'écriture de Richard Millet belle, j'ai eu l'impression que le roman s'enlisait à partir d'un moment (abandonné p.188).
Le rejet systématique de ce qui n'est pas "l'homme blanc hétérosexuel", avec des assertions tellement ridicules du type "toute lesbienne déteste les hommes", la récurrence des attaques contre le mariage pour tous, les affirmations à l'emporte-pièces ont eu raison de moi cette fois-ci.
Richard Millet s'enferme de plus en plus dans ses préjugés et cela gâche sa littérature. L'odeur de l'amertume commence à prendre le dessus sur le reste.
Son héros, encore une fois un double littéraire (appelé "Mambre", pas besoin de leçon d'onomastique) semble détenir toujours la vérité. Et à force de tiquer sur des passages, le lecteur se lasse et ne pardonne plus, quelle que soit la qualité du style (attention tout de même à l'utilisation abusive du "néanmoins").
Le rejet systématique de ce qui n'est pas "l'homme blanc hétérosexuel", avec des assertions tellement ridicules du type "toute lesbienne déteste les hommes", la récurrence des attaques contre le mariage pour tous, les affirmations à l'emporte-pièces ont eu raison de moi cette fois-ci.
Richard Millet s'enferme de plus en plus dans ses préjugés et cela gâche sa littérature. L'odeur de l'amertume commence à prendre le dessus sur le reste.
Son héros, encore une fois un double littéraire (appelé "Mambre", pas besoin de leçon d'onomastique) semble détenir toujours la vérité. Et à force de tiquer sur des passages, le lecteur se lasse et ne pardonne plus, quelle que soit la qualité du style (attention tout de même à l'utilisation abusive du "néanmoins").
Kashima- Faux-monnayeur
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Le sommeil des objets, Millet
Article pour Le Salon littéraire, novembre 2019.
Je tiens la prose de Richard Millet pour la plus belle de notre époque. Son écriture est ressassement ; par je ne sais quelle prouesse, son style change en merveilles la laideur et la puanteur. À chaque lecture, je retrouve cette sensation qu’on n’éprouve avec personne d’autre. Le désir et la mort se confondent, le passé avale le présent, qui fossoie inlassablement et joue de sa lancinance.
Par le fragment, Richard Millet compose une esthétique du rebut dans Le Sommeil des objets. Les textes se succèdent pour dire ce qu’on « réprouve » et ce qu’on « cache » ; ils se répondent et s’accumulent, racontent par bribes le quotidien, les souvenirs d’enfance ou d’amour. Certains forment un refrain ou un thème musical, tels les « Immondices » qui montrent ce qu’il y a de « plus rebutant » par l’exemple de ce rom, exclu de la société, qui se soulage dans une station du RER, s’essuie avec ses doigts contre le mur où il dépose un « infect hiéroglyphe, (…) ce signe de la misère de l’homme ». Son étron trônera des semaines sans que personne ne le fasse disparaître, jusqu’au retour des beaux jours, où le nettoyage à grande eau éclipse enfin la déjection humaine.
Richard Millet fait l’inventaire de sa corbeille de bureau, sous la forme de natures mortes qu’il nomme « Compositions ». Et la liste n’est pas fastidieuse, elle prend même des allures poétiques et étranges, car il a le don d’insuffler à la moindre chose le poids de la nostalgie.
Les rebuts ne sont pas seulement ce qu’on remise à la cave ou au grenier — l’auteur a d’ailleurs à ce propos une explication quasi métaphysique : ce qu’on monte au grenier est rarement fait pour redescendre et semble au rebut pour toujours, alors que la cave s’offre au consommable, laissant l’espoir de retrouvailles pratiques avec ses objets : « Le grenier, lui, suppose une montée qui est en vérité une chute. Il suggère la ‘mise au rebut’ définitive » (« De la cave au grenier », p.27) —, ils sont aussi ces stupéfiantes momies des catacombes de Palerme, qui se tiennent encore debout, le sourire aux lèvres ou les rubans dans la chevelure éteinte ; ils sont ces morts que les Malgaches déterrent tous les sept ans, pour les faire danser sur leurs tombes, ou la décharge libanaise de Saïda qui peu à peu s’effondre sur la mer et contribue au développement du continent de plastique, auquel est consacré aussi un texte (« Le septième continent », p.144).
Les amantes vivent dans le souvenir érotique d’un mouchoir jeté à la corbeille. Il y a cette culotte retrouvée dans un sac dont l’auteur veut se débarrasser, et l’hommage solitaire rendu à la femme qui la portait et dont il ne se souvient plus, ou encore la conversation avec Camille, propre au style de l’auteur qui éprouve du dégoût face à la bassesse des corps. « Pourquoi n’aimes-tu pas l’ail ? » lui dit-elle. Et il ne lui révèle pas les images anti-érotiques que cette question suscite, ni cette pensée de la potentielle maîtresse en train de « délivrer ses entrailles ». Dans Lauve le Pur, le narrateur a pu quitter une femme pour une odeur. La pudeur de voiler les relents corporels est aussi un rempart contre la grossièreté.
Un de plus beaux passages sur le rebut, en lien avec l’amour, se trouve dans « Le rebuté » (p.99) :
« Rebuté par une femme, donc rebutant : me voilà dans l’absolu de la solitude, la déréliction. Être abandonné d’une femme, ou de Dieu, c’est pour ainsi dire la même chose ; c’est le défaut d’amour, une condamnation à la condition de mort-vivant : je suis le rebuté, le ténébreux, le prince déchu du vrai royaume ici-bas qu’est l’amour partagé. »
Dans Le Sommeil des objets, les rognures d’ongles font pousser les arbres, les listes de courses deviennent une litanie qui peut se muer en œuvre d’art. Le passé, « grande décharge du temps », revit dans l’écriture de certains souvenirs fugaces, comme la jambe de plâtre de l’aïeul, jambe qu’on ne voulait pas enterrer de peur d’ensevelir vivante une part de soi, le lit où le père est mort, qu’on a démonté, remisé, que nul ne veut plus occuper, la brosse de fer avec laquelle on décrottait les vaches. C’est un temps révolu, qui ne reviendra jamais et dont on sent la pudique déploration.
Par des résurgences littéraires, Richard Millet nous donne envie de lire Yoko Ogawa, son Musée du silence où s’entassent les objets dérobés à des morts. On croise l’avare des Âmes mortes, la Catherine Crachat de Pierre-Jean Jouve, héroïne capable de porter un nom qui recouvre tant de répugnance. En feuilletant un livre, le lecteur tombe sur un ticket de métro ou la photographie d’un mort. L’œuvre de Millet est ainsi : elle nous ramène à notre finitude, car tout finit toujours dans la grande Poubelle de l’existence, parmi les « débris d’os (et) les restes de couronnes mortuaires » (« La benne des morts », p.60.). Le cerveau de Talleyrand, « cette cervelle qui avait pensé tant de choses (et) inspiré tant d’hommes », n’a-t-il pas fini à l’égout… ?
Arrière-petite fille de Déchet, j’aurais voulu que le livre fût interminable.
Céline Maltère
http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/les-anciens-et-les-modernes/content/1949874-richard-millet-le-sommeil-des-objets-finitudes
Par le fragment, Richard Millet compose une esthétique du rebut dans Le Sommeil des objets. Les textes se succèdent pour dire ce qu’on « réprouve » et ce qu’on « cache » ; ils se répondent et s’accumulent, racontent par bribes le quotidien, les souvenirs d’enfance ou d’amour. Certains forment un refrain ou un thème musical, tels les « Immondices » qui montrent ce qu’il y a de « plus rebutant » par l’exemple de ce rom, exclu de la société, qui se soulage dans une station du RER, s’essuie avec ses doigts contre le mur où il dépose un « infect hiéroglyphe, (…) ce signe de la misère de l’homme ». Son étron trônera des semaines sans que personne ne le fasse disparaître, jusqu’au retour des beaux jours, où le nettoyage à grande eau éclipse enfin la déjection humaine.
Richard Millet fait l’inventaire de sa corbeille de bureau, sous la forme de natures mortes qu’il nomme « Compositions ». Et la liste n’est pas fastidieuse, elle prend même des allures poétiques et étranges, car il a le don d’insuffler à la moindre chose le poids de la nostalgie.
Les rebuts ne sont pas seulement ce qu’on remise à la cave ou au grenier — l’auteur a d’ailleurs à ce propos une explication quasi métaphysique : ce qu’on monte au grenier est rarement fait pour redescendre et semble au rebut pour toujours, alors que la cave s’offre au consommable, laissant l’espoir de retrouvailles pratiques avec ses objets : « Le grenier, lui, suppose une montée qui est en vérité une chute. Il suggère la ‘mise au rebut’ définitive » (« De la cave au grenier », p.27) —, ils sont aussi ces stupéfiantes momies des catacombes de Palerme, qui se tiennent encore debout, le sourire aux lèvres ou les rubans dans la chevelure éteinte ; ils sont ces morts que les Malgaches déterrent tous les sept ans, pour les faire danser sur leurs tombes, ou la décharge libanaise de Saïda qui peu à peu s’effondre sur la mer et contribue au développement du continent de plastique, auquel est consacré aussi un texte (« Le septième continent », p.144).
Les amantes vivent dans le souvenir érotique d’un mouchoir jeté à la corbeille. Il y a cette culotte retrouvée dans un sac dont l’auteur veut se débarrasser, et l’hommage solitaire rendu à la femme qui la portait et dont il ne se souvient plus, ou encore la conversation avec Camille, propre au style de l’auteur qui éprouve du dégoût face à la bassesse des corps. « Pourquoi n’aimes-tu pas l’ail ? » lui dit-elle. Et il ne lui révèle pas les images anti-érotiques que cette question suscite, ni cette pensée de la potentielle maîtresse en train de « délivrer ses entrailles ». Dans Lauve le Pur, le narrateur a pu quitter une femme pour une odeur. La pudeur de voiler les relents corporels est aussi un rempart contre la grossièreté.
Un de plus beaux passages sur le rebut, en lien avec l’amour, se trouve dans « Le rebuté » (p.99) :
« Rebuté par une femme, donc rebutant : me voilà dans l’absolu de la solitude, la déréliction. Être abandonné d’une femme, ou de Dieu, c’est pour ainsi dire la même chose ; c’est le défaut d’amour, une condamnation à la condition de mort-vivant : je suis le rebuté, le ténébreux, le prince déchu du vrai royaume ici-bas qu’est l’amour partagé. »
Dans Le Sommeil des objets, les rognures d’ongles font pousser les arbres, les listes de courses deviennent une litanie qui peut se muer en œuvre d’art. Le passé, « grande décharge du temps », revit dans l’écriture de certains souvenirs fugaces, comme la jambe de plâtre de l’aïeul, jambe qu’on ne voulait pas enterrer de peur d’ensevelir vivante une part de soi, le lit où le père est mort, qu’on a démonté, remisé, que nul ne veut plus occuper, la brosse de fer avec laquelle on décrottait les vaches. C’est un temps révolu, qui ne reviendra jamais et dont on sent la pudique déploration.
Par des résurgences littéraires, Richard Millet nous donne envie de lire Yoko Ogawa, son Musée du silence où s’entassent les objets dérobés à des morts. On croise l’avare des Âmes mortes, la Catherine Crachat de Pierre-Jean Jouve, héroïne capable de porter un nom qui recouvre tant de répugnance. En feuilletant un livre, le lecteur tombe sur un ticket de métro ou la photographie d’un mort. L’œuvre de Millet est ainsi : elle nous ramène à notre finitude, car tout finit toujours dans la grande Poubelle de l’existence, parmi les « débris d’os (et) les restes de couronnes mortuaires » (« La benne des morts », p.60.). Le cerveau de Talleyrand, « cette cervelle qui avait pensé tant de choses (et) inspiré tant d’hommes », n’a-t-il pas fini à l’égout… ?
Arrière-petite fille de Déchet, j’aurais voulu que le livre fût interminable.
Céline Maltère
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