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Un léger goût de Lautréamont (Christophe Lartas)

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Un léger goût de Lautréamont (Christophe Lartas) Empty Un léger goût de Lautréamont (Christophe Lartas)

Message  Kashima Dim 25 Avr 2021 - 8:21


En 2007, La Clef d’Argent publiait le deuxième texte de sa collection NoKThys, consacrée à la poésie et aux textes sombres. Saturne se présentait sous la forme d’un carré de douze centimètres sur douze, petit livre à la couverture violette illustrée par un dessin de Fernando Goncalvès-Félix. L’objet en lui-même était déjà singulier.


Un léger goût de Lautréamont (Christophe Lartas) 97829010




Saturne est un ogre invincible qui se délecte de dévorer le genre humain. Il aspire à la tranquillité, veut se débarrasser de ses désirs et de son immense appétit. Il croque tous les êtres qu’il croise, décimant les familles, violant les femmes avant de les déchiqueter. Christophe Lartas, l’auteur de ce texte, fait jaillir les cervelles, gicler les yeux, voler les têtes. Il décrit avec un plaisir à chaque fois renouvelé les corps broyés.
Saturne parcourt le monde méthodiquement. L’être doit disparaître. Il finira par les régions polaires pour traquer ses dernières proies.
On ne peut s’empêcher de penser parfois à Maldoror et à sa cruauté. L’horreur froide qui se dégage du texte a quelque chose de poétique. Bien sûr, les dévorations sont gratuites. La haine de Saturne est grande, et il est implacable tout en étant grotesque.
Mais si le Temps en veut tellement aux hommes, ce n’est peut-être pas pour rien. Car Saturne est anthropophage et épargne les bêtes. Il admire la nature qui se renouvelle au fur et à mesure que l’homme s’anéantit. À quoi sert l’art, la poésie ?

« La vraie vie, pense-t-il, est dans l’œil : toute merveille que l'on voit est un pan d'infini, un bloc d'éternité. Qu'est-il besoin des livres, de la musique ou de la peinture ? Tout est dans la nature : cascades, gouffres, glaciers, cyclones… L'être n'ajoute rien au cosmos — bien au contraire il l'ampute, le défigure.
Une chenille vaut plus qu'une religion, un léopard plus qu'une nation. »


Il n’aura pas pitié du nourrisson ni du poète : supplications, provocations, rien n’entrave l’objectif destructeur de Saturne.
« Manger le coeur du poète fait ses délices : c'est là qu'était le vide. »
Mais Saturne n’est pas Cronos : chez les Romains, le dieu diffère légèrement du Titan, incarnation du Temps qui dévore ses enfants. Il est la nature prolixe, associé aux récoltes et à l’agriculture. Le Saturne de Lartas fait disparaître l’homme au profit des biens de la Terre. Ne se pose-t-il pas cette question :

« La mort de l'homme est donc la clef du bonheur? »

Qui détruit ? Qui a causé le malheur ? Même si les hommes l’implorent, ils ne sont pas dignes de pitié et, plus il meurt, plus il laisse place aux espèces dont il a pris la place :

« L’océan foisonne d’ichtyosaures, d’élasmosaures, de calmars jaunes immenses et de baleines noires…
Et résonnent les cieux par intervalles du cri des archéoptéryx, des dimorphodons, des mouettes rieuses…
Un homme entre deux âges, une femme qui porte un nouveau-né dans ses bras — si belle Cybèle !
Ils viennent à sa rencontre, n’est-ce pas, car il est inutile de s’enfuir où qu’ils aillent, quoi qu’il fasse, il les retrouverait. Ainsi, même en ses terres boréales superbement désolées l’ardeur de l’être à procréer ne saurait se tarir ? Toujours prête à répandre sur le monde son infecte progéniture, cette insatiable vermine ! »

Il faut du style pour soutenir une telle misanthropie teintée d’antiprocréationnisme, si rares en littérature sans verser dans la caricature. Christophe Lartas nous met du côté de l’ogre. Et, sans la révéler, la fin nous donne à voir une apparition triomphante : après un tel carnage, les figures se confondent… Le triomphe ! — et la mort devient belle.

Le texte a été réédité récemment, aux Éditions de l’Abat-Jour. Si Poe est l’un de ses pairs, je me sens des affinités avec le mystérieux Christophe Lartas. Ces « chairs meurtries », qui sont les nôtres, resteront à l’abri du ventre de Saturne.


Céline Maltère



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