Des coeurs pour Salinger
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Des coeurs pour Salinger
- Tu connais la chanson "Si un cœur attrape un cœur qui vient à travers les seigles"? Je voudrais...
- C'est "Si un corps rencontre un corps qui vient à travers les seigles". C'est un poème de Robert Burns.
- Je le sais bien que c'est un poème de Robert Burns." Remarquez, elle avait raison, c'est "Si un corps rencontre un corps qui vient à travers les seigles". Depuis, j'ai vérifié.
Là j'ai dit : "Je croyais que c'était "Si un cœur attrape un cœur". Bon. Je me représente tous ces petits mômes qui jouent à je ne sais quoi dans le grand champ de seigle et tout. Des milliers de petits mômes et personne avec eux je veux dire pas de grandes personnes - rien que moi. Et moi je suis planté au bord d'une saleté de falaise. Ce que j'ai à faire c'est attraper les mômes s'ils s'approchent trop près de bord. Je veux dire s'ils courent sans regarder où ils vont, moi je rapplique et je les attrape. C'est ce que je ferais toute la journée. Je serais juste l'attrape-cœurs et tout. D'accord, c'est dingue, mais c'est vraiment ce que je voudrais être. Seulement ça. D'accord, c'est dingue.
Et voilà, comme aurait dit Holden, ces mots, "ça me tue". Quand on arrive à ce moment dans le livre, déjà bien attaché au personnage, le voir dire cela à sa petite sœur Phoebe vous tord le ventre.
Ce n'est pas un livre misérabiliste. D'emblée, Holden Caulfield, le narrateur, nous prévient :
"Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c'est où je suis né, et à quoi ça a rassemblé, ma saloperie d'enfance et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça, et tout."
Il n'est pas un Oliver ou un David. Holden a seize ans, a un frère écrivain parti à Hollywood pour écrire des "saloperies de films", une petite sœur à l'école, un frère, Allie, mort d'une leucémie. Il vient de se faire renvoyer de Pencey et les vacances commencent mercredi : Holden a donc trois jours à tuer avant de rentrer dans sa famille annoncer la nouvelle, préférant attendre la fin de l'école plutôt que d'affoler sa mère.
Le lecteur va le suivre dans les rues de New-York, vivre ces trois jours de liberté teintée de désespoir.
Les drames sont intérieurs. Ils prennent la forme d'un cadeau qu'on a voulu faire et qui se brise sur le trottoir, comme ce disque, Little Sherley Beans, qu'il compte offrir à sa petite sœur chérie :
Le livre est écrit dans un style qui paraît simple, parce que mimant le langage maladroit de cet adolescent cultivé, fou de lecture, et qui pourtant vous transporte et vous fait dire que cette simplicité, ce naturel, vous n'auriez pas pu l'imiter.
Je comprends pourquoi ce roman est un classique : dès les premières pages, on y est, on est avec Holden, dans sa tête : il nous fait rire, nous fait peur parce qu'on sent en lui ce désespoir implacable provoqué par le temps qui passe, l'avenir, la difficulté du présent. Qu'on ne s'attende pas à la grande machine ou aux grosses ficelles! C'est simplement limpide et touchant parce que ce sont trois jours d'une vie en transition.
Le titre original est The Catcher in the Rye ("l'attrapeur dans le seigle").
Ce roman est considéré comme l'unique de Salinger, écrivain retiré du monde : "Salinger est connu aussi pour sa vie de reclus. Il n'a fait aucune apparition publique ni accordé un seul entretien ou publié un seul écrit durant quarante ans."
Il est mort le 27 janvier 2010 et, hormis ce roman, il a écrit de nombreuses nouvelles.
Dans ma tête, c'était un vieux barbu, mais il ne semble pas...
Le personnage de Holden semble être autobiographique par certains côtés : la difficulté à communiquer, par exemple, alors que la richesse intérieure foisonne. Qu'on ne cherche pas de film de L'Attrape-cœurs si Salinger pense du cinéma la même chose que Holden :
"Ils étaient tous sur leur trente et un, parce que c'était dimanche, et ça n'arrangeait rien. mais le pire c'est qu'on pouvait voir que tous ils voulaient aller au ciné. Je ne pouvais pas supporter. Je peux comprendre qu'on aille au ciné quand on a rien d'autre à faire, mais quelqu'un qui veut y aller, et même marche à toute pompe pour y arriver plus vite, ça me démolit. Spécialement quand je vois des millions de gens qui font la queue, une queue terrible qui va jusqu'au coin de la rue suivante, et les gens qui attendent avec une patience de tonnerre de prendre leurs billets et tout. Ouah, j'aurais voulu foutre le camp de Broadway sur-le-champ."
Salinger a toujours, de son vivant, refusé de céder les droits de L'Attrape-cœurs pour une adaptation cinématographique.
"Me serait-il possible de pouvoir lui parler, le rencontrer? Me serait-il possible de pouvoir lui parler sans le contrarier..." Hommage des années 90 à l'écrivain :
Salinger est resté un mystère. Frédéric Beigbeder est parti sur ses traces dans le film L'Attrape-Salinger de Jean-Marie Périer en 2007. Voici ce qui en est dit :
http://www.cafebook.fr/index.php/tag/jd-salinger/
Le film Chapitre 27, sorti en 2008 au cinéma, raconte l'histoire vraie du tueur de John Lennon, obsédé par L'Attrape-coeurs:
Pour finir, et en espérant que vous ne tarderez pas, comme j'ai tardé, à le lire, voici le poème de Burns, poète romantique anglais :
Comin Thro the Rye
O, Jenny's a' weet, poor body,
Jenny's seldom dry;
She draigl't a' her petticoattie
Comin thro' the rye.
Comin thro the rye, poor body,
Comin thro the rye,
She draigl't a'her petticoatie,
Comin thro the rye!
Gin a body meet a body
Comin thro the rye,
Gin a body kiss a body,[r] Need a body cry?
Gin a body meet a body
Comin thro the glen,
Gin a body kiss a body,
Need the warld ken?
O, Jenny's a' weet, poor body,
Jenny's seldom dry;
She draigl't a' her petticoattie
Comin thro' the rye.
Comin thro the rye, poor body,
Comin thro the rye,
She draigl't a'her petticoatie,
Comin thro the rye!
Gin a body meet a body
Comin thro the rye,
Gin a body kiss a body,[r] Need a body cry?
Gin a body meet a body
Comin thro the glen,
Gin a body kiss a body,
Need the warld ken?
Dernière édition par Kashima le Sam 26 Nov 2011 - 11:41, édité 2 fois
Kashima- Faux-monnayeur
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