Littérature et politique (Duras et Mitterrand)
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Littérature et politique (Duras et Mitterrand)
Il est question de ce sujet dans le Marianne/Magazine littéraire de juillet-août, en particulier de Duras et de Mitterrand. Je livre ici l'article :
Kashima- Faux-monnayeur
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Date d'inscription : 29/09/2008
Duras - la Douleur
La Douleur est sorti en 1985, après L'Amant qui a fait connaître Marguerite Duras d'une autre génération (la mienne...)
Je voulais lire ce livre depuis longtemps, livre qui regroupe des textes autour de la Deuxième Guerre mondiale (Résistance, déportation, Libération) et de ce qu'a vécu Marguerite Duras durant cette période (elle avait 30 ans).
Le premier récit, La Douleur, qui donne son titre au livre entier, est la narration de cette souffrance presque indicible qu'a éprouvée Marguerite Duras en attendant le retour de son mari, Robert Antelme, des camps. On sent l'intense douleur du doute : est-il mort, reviendra-t-il, la folie qui guette Marguerite, soutenue par D. (Dionys Mascolo, son futur mari) :
"Parfois, je m'étonne ne ne pas mourir : une lame glacée enfoncée profond dans la chair vivante, de nuit, de jour et on survit." (79)
Dionys, Marguerite et Robert
Et après l'attente, c'est le retour du moribond : Dionys, avec Mitterrand (Morland, dans le livre) ramènent de Dachau Robert qui se meurt. Après avoir lu L'Espèce humaine, ce point de vue de Marguerite Duras, dans le rôle de celle qui attend, qui souffre pour l'autre qui lui est cher, est très intéressant et touchant : au retour, c'est toujours la faim qui anime Robert, mais on ne peut le nourrir comme on voudrait, il en pourrait.
On retrouve la pensée qu'il développe dans son magnifique livre :
"Robert L. n’a accusé personne, aucune race, aucun peuple, il a accusé l’homme." (67)
On sent déjà combien aura été grande l'empathie de Duras pour les déportés, et en particulier le peuple juif, à travers ces italiques qui apparaissent dans le récit, comme une bribe de ce qu'elle a pu entendre comme horreur :
"La petite juive de dix-sept ans du faubourg du Temple a des coudes qui ont troué la peau de ses bras, sans doute à cause de sa jeunesse et de la fragilité de la peau, son articulation est au-dehors au lieu d'être dedans, elle sort nue, propre, elle ne souffre pas ne de ses articulations ni de son ventre duquel on a enlevé un à un, à intervalles réguliers, tous ses organes génitaux." (72)
Un texte très fort et important sur la déportation et les horreurs nazies, même si on les vit à la place de celle qui n'y était pas.
Dans Monsieur X. dit ici Pierre Rabier, on a un témoignage de ce qu'a été l'engagement de Duras dans la résistance. Le chef du mouvement, c'est François Morland (François Mitterrand). Robert, le mari, a été arrêté avec sa soeur : Marguerite Duras va fréquenter de près un policier de la Gestapo, jouer avec le feu pour avoir des informations et espérer revoir Robert. En côtoyant ce nazi, elle prend des risques énormes, surtout que tout au long du récit, elle n'est jamais sûre qu'il sait qui elle est... Voici un extrait qui montre combien il joue avec sa peur :
Après ce récit, Duras lui demande pourquoi il lui raconte cela, et il répond :
"Parce que je vais vous demander de me suivre."
Et il ajoute, après quelques minutes :
"Mais à vous je vous demanderai de me suivre dans un restaurant."
Duras et Rabier au restaurant dans un film de Jean-Philippe Puymartin, avec Marianne Basler
Ce récit de faits véritables présente l'intérêt de voir comment Duras était engagée dans la résistance, son implacabilité, aussi, qui se retrouvera dans la nouvelle d'après.
A ce moment-là, elle ne sait rien encore des atrocités nazies :
Dans Albert des Capitales, elle se prénomme Thérèse - sans doute pour prendre de la distance avec elle-même et le rôle qu'elle a joué dans cette histoire. A la Libération, elle et son réseau ont mis la main sur un donneur : elle sera celle qui l'interrogera et n'ordonnera qu'on arrête les coups que quand il avouera ce qu'elle veut lui faire dire : qu'il collaborait. Duras a longtemps tu cet épisode dont elle n'est pas fière, mais on sent là aussi sa rage d'aller jusqu'au bout (d'autant qu'il faut avoir en tête le récit initial, La Douleur, où elle attend jusqu'en 1945 Robert).
Ter Le Milicien relate sa rencontre avec un jeune homme qui est aussi du côté des Allemands, mais par frivolité, goût de l'argent, des voitures. On s'y attache : il est jeune, beau, aime les femmes... On perçoit que Duras aurait pu s'attacher encore plus à lui.
Et pour finir, deux récits plus détachés des événements réels, même s'ils sont liés à cette période : L'ortie brisée où se rencontrent un enfant, un homme et un étranger dans la campagne ; Aurélia Paris, "de l'amour fou pour la petite fille juive abandonnée", récit qui rappelle l'écriture lancinante et poétique de Duras telle qu'on la trouve dans Hiroshima mon Amour, par exemple.
Grâce à ce texte, on n'oubliera pas non plus le rôle qu'a joué François Mitterrand dans cette guerre, celui d'un résistant (au cas où certains voudraient l'omettre...)
Je voulais lire ce livre depuis longtemps, livre qui regroupe des textes autour de la Deuxième Guerre mondiale (Résistance, déportation, Libération) et de ce qu'a vécu Marguerite Duras durant cette période (elle avait 30 ans).
Le premier récit, La Douleur, qui donne son titre au livre entier, est la narration de cette souffrance presque indicible qu'a éprouvée Marguerite Duras en attendant le retour de son mari, Robert Antelme, des camps. On sent l'intense douleur du doute : est-il mort, reviendra-t-il, la folie qui guette Marguerite, soutenue par D. (Dionys Mascolo, son futur mari) :
"Parfois, je m'étonne ne ne pas mourir : une lame glacée enfoncée profond dans la chair vivante, de nuit, de jour et on survit." (79)
Dionys, Marguerite et Robert
Et après l'attente, c'est le retour du moribond : Dionys, avec Mitterrand (Morland, dans le livre) ramènent de Dachau Robert qui se meurt. Après avoir lu L'Espèce humaine, ce point de vue de Marguerite Duras, dans le rôle de celle qui attend, qui souffre pour l'autre qui lui est cher, est très intéressant et touchant : au retour, c'est toujours la faim qui anime Robert, mais on ne peut le nourrir comme on voudrait, il en pourrait.
On retrouve la pensée qu'il développe dans son magnifique livre :
"Robert L. n’a accusé personne, aucune race, aucun peuple, il a accusé l’homme." (67)
On sent déjà combien aura été grande l'empathie de Duras pour les déportés, et en particulier le peuple juif, à travers ces italiques qui apparaissent dans le récit, comme une bribe de ce qu'elle a pu entendre comme horreur :
"La petite juive de dix-sept ans du faubourg du Temple a des coudes qui ont troué la peau de ses bras, sans doute à cause de sa jeunesse et de la fragilité de la peau, son articulation est au-dehors au lieu d'être dedans, elle sort nue, propre, elle ne souffre pas ne de ses articulations ni de son ventre duquel on a enlevé un à un, à intervalles réguliers, tous ses organes génitaux." (72)
Un texte très fort et important sur la déportation et les horreurs nazies, même si on les vit à la place de celle qui n'y était pas.
Dans Monsieur X. dit ici Pierre Rabier, on a un témoignage de ce qu'a été l'engagement de Duras dans la résistance. Le chef du mouvement, c'est François Morland (François Mitterrand). Robert, le mari, a été arrêté avec sa soeur : Marguerite Duras va fréquenter de près un policier de la Gestapo, jouer avec le feu pour avoir des informations et espérer revoir Robert. En côtoyant ce nazi, elle prend des risques énormes, surtout que tout au long du récit, elle n'est jamais sûre qu'il sait qui elle est... Voici un extrait qui montre combien il joue avec sa peur :
Après ce récit, Duras lui demande pourquoi il lui raconte cela, et il répond :
"Parce que je vais vous demander de me suivre."
Et il ajoute, après quelques minutes :
"Mais à vous je vous demanderai de me suivre dans un restaurant."
Duras et Rabier au restaurant dans un film de Jean-Philippe Puymartin, avec Marianne Basler
Ce récit de faits véritables présente l'intérêt de voir comment Duras était engagée dans la résistance, son implacabilité, aussi, qui se retrouvera dans la nouvelle d'après.
A ce moment-là, elle ne sait rien encore des atrocités nazies :
Dans Albert des Capitales, elle se prénomme Thérèse - sans doute pour prendre de la distance avec elle-même et le rôle qu'elle a joué dans cette histoire. A la Libération, elle et son réseau ont mis la main sur un donneur : elle sera celle qui l'interrogera et n'ordonnera qu'on arrête les coups que quand il avouera ce qu'elle veut lui faire dire : qu'il collaborait. Duras a longtemps tu cet épisode dont elle n'est pas fière, mais on sent là aussi sa rage d'aller jusqu'au bout (d'autant qu'il faut avoir en tête le récit initial, La Douleur, où elle attend jusqu'en 1945 Robert).
Ter Le Milicien relate sa rencontre avec un jeune homme qui est aussi du côté des Allemands, mais par frivolité, goût de l'argent, des voitures. On s'y attache : il est jeune, beau, aime les femmes... On perçoit que Duras aurait pu s'attacher encore plus à lui.
Et pour finir, deux récits plus détachés des événements réels, même s'ils sont liés à cette période : L'ortie brisée où se rencontrent un enfant, un homme et un étranger dans la campagne ; Aurélia Paris, "de l'amour fou pour la petite fille juive abandonnée", récit qui rappelle l'écriture lancinante et poétique de Duras telle qu'on la trouve dans Hiroshima mon Amour, par exemple.
Grâce à ce texte, on n'oubliera pas non plus le rôle qu'a joué François Mitterrand dans cette guerre, celui d'un résistant (au cas où certains voudraient l'omettre...)
Sur Duras, voir aussi ici.
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