Et si l'amour durait
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Et si l'amour durait
Dans Et si l'amour durait, Alain Finkielkraut s'appuie sur des œuvres littéraires pour nous parler des comportements amoureux. Il est question de Mme de la Fayette, d'Ingmar Bergman, de Philippe Roth et de Milan Kundera.
Dans la première partie, il s'interroge sur La Princesse de Clèves qui préfère, quand l'amour est possible, le renoncement, l'inaccompli de l'amour et du désir. Peut-être est-ce le seul moyen de les garder intact, qu'ils ne faiblissent pas, ne meurent pas. Elle a vu, autour d'elle, les jeux de séduction et, si son mari est autant épris d'elle, c'est aussi parce qu'elle ne lui montre pas la même passion. A sa mort, elle lui sera pourtant fidèle :
"Il n'y avait "plus de devoir, plus de vertu qui s'opposassent à ses sentiments ; tous les obstacles étaient levés, et il ne restait de leur état passé que la passion de M. de Nemours pour elle et que celle qu'elle avait pour lui". (...) Or elle dit non. Tout en déclarant son amour, elle répond par une fin de non-recevoir au trop frêle bonheur qui lui tend les bras."
Les Meilleures intentions est un récit autobiographique écrit par le réalisateur Bergman. Il y parle de l'amour de ses parents, montrant très bien la détérioration du sentiment dès que les premiers mois d'amour sont passés.
"Rien ne s'oppose plus à l'union d'Anna et de Henrik. Ils se retrouvent avec ardeur, avidité. Ils se fiancent et ils prennent ensemble le train pour Forsboda, dans le nord du pays, au fin fond du Gästrikland, où Henrik a obtenu son premier poste de pasteur titulaire."
On y voit le gâchis, les disputes, les mésententes dues aux différences de caractères...
“On a cessé de fixer pour mandat à l’amour de résoudre, je cite ici Kierkegaard, “la grande énigme de vivre dans l’éternité en écoutant sonner la pendule”.”
“Savent-ils ce qui leur en coûtera de tabler sur la pérennité de l’amour au lieu de prendre acte de sa précarité?”
“Henrik cite Luther : “Un mot qu’on a laissé s’envoler ne se laisse jamais plus rattraper par l’aile.” On peut raturer ce qui est écrit mais ce qui est dit est dit. Toute parole est fatale. Verba manent, contrairement à ce que prétend l’adage. Il n’est pas au pouvoir d’Anna et d’Henrik de désentendre les mots terribles qu’ils ont échangés. Et pourtant, ils restent ensemble. Ils recollent, consciencieusement, les morceaux.”
“L’esquif conjugal n’a pas fait naufrage. Il a traversé victorieusement les tempêtes. Mais ce triomphe de l’amour est sinistre. (…) L’insouciance des commencements ne reviendra jamais, ni le sérieux des grandes promesses. L’idylle est un mirage définitivement envolé."
Autre sorte d'amour : le papillonnage que pratique le héros du roman de Roth, Professeur de désir :
"L'étudiant brillant et appliqué qu'est devenu David Kepesh court après les filles. Plutôt que dissolu, il préfère dire desirous, brûlant de désirs. Il n'est pas à Venise, après tout, mais sur un campus de l'État de New York et, ce désir, il refuse de l'enserrer dans l'étui des sentiments convenables."
On y découvre, entre autres, son amour fou pour une femme dont il se lassera malheureusement très vite, comme si c'était une fatalité et que personne n'y pouvait rien. Dans cette partie, Finkielkraut parle aussi d'un livre de Tchekhov, L'Homme à l'étui, car le héros de Professeur de désir est son contraire : il veut vivre autrement que dans un étui, protégé de tout.
“Il n’aime pas Helen parce qu’elle est digne d’être aimée. Il l’aime sans l’estimer, il l’aime malgré lui, il l’aime bien qu’elle ne soit pas aimable. Idiotie de l’amour fou.”
“Il porte, pendant l’idylle, le deuil de l’idylle. L’ivresse des commencements à peine dissipée, il voit le mot “fin” s’inscrire. Tout ce qui est plaît, or ce plaisir est gagé sur le désir et le désir inexorablement retombe. L’été, c’est déjà l’automne.”
“Aucune catastrophe ne vient troubler son bonheur sinon la catastrophe annoncée du désir.”
Enfin, il nous montre comment Kundera conçoit l'amour dans son oeuvre. Notre époque est amoureuse de l'amour. Avec les personnages de L'Insoutenable légèreté de l'être ou d'autres romans et récits, l'auteur fait la démonstration que l'amour, chez Kundera, n'est pas narcissisme. Il prend l'exemple du quadragénaire qu'on trouve dans La Vie est ailleurs.
“En donnant au thème amoureux une place prépondérante et même centrale, cette civilisation a favorisé l’apparition d’un type humain particulier, l’homo sentimentalis, l’homme sentimental ou, plus précisément, l’homme qui révère ses sentiments et son moi sensible. Bref, nous avons, nous autres Européens, redoublé l’amour par l’amour de l’amour au risque de substituer celui-ci à celui-là. (…)
Comme le grand Aragon à qui la femme de sa vie écrit sur le tard une lettre bouleversante avec ces mots terribles : “le plaisir normal de faire quelque chose ensemble, tu ne le connais pas” et surtout : “même ma mort, c’est à toi que cela arriverait”. Tout à sa folie, le fou d’Elsa oublie Elsa. C’est son désir qu’il désire. C’est son sentiment qu’il adore. L’amour de l’amour a effacé la destination de l’amour.”
Et si l’amour durait est un livre très intéressant, qui se lit facilement et avidement parce que, quel que soit son comportement amoureux, le lecteur s'y retrouvera.
Dans la première partie, il s'interroge sur La Princesse de Clèves qui préfère, quand l'amour est possible, le renoncement, l'inaccompli de l'amour et du désir. Peut-être est-ce le seul moyen de les garder intact, qu'ils ne faiblissent pas, ne meurent pas. Elle a vu, autour d'elle, les jeux de séduction et, si son mari est autant épris d'elle, c'est aussi parce qu'elle ne lui montre pas la même passion. A sa mort, elle lui sera pourtant fidèle :
"Il n'y avait "plus de devoir, plus de vertu qui s'opposassent à ses sentiments ; tous les obstacles étaient levés, et il ne restait de leur état passé que la passion de M. de Nemours pour elle et que celle qu'elle avait pour lui". (...) Or elle dit non. Tout en déclarant son amour, elle répond par une fin de non-recevoir au trop frêle bonheur qui lui tend les bras."
Les Meilleures intentions est un récit autobiographique écrit par le réalisateur Bergman. Il y parle de l'amour de ses parents, montrant très bien la détérioration du sentiment dès que les premiers mois d'amour sont passés.
"Rien ne s'oppose plus à l'union d'Anna et de Henrik. Ils se retrouvent avec ardeur, avidité. Ils se fiancent et ils prennent ensemble le train pour Forsboda, dans le nord du pays, au fin fond du Gästrikland, où Henrik a obtenu son premier poste de pasteur titulaire."
On y voit le gâchis, les disputes, les mésententes dues aux différences de caractères...
“On a cessé de fixer pour mandat à l’amour de résoudre, je cite ici Kierkegaard, “la grande énigme de vivre dans l’éternité en écoutant sonner la pendule”.”
“Savent-ils ce qui leur en coûtera de tabler sur la pérennité de l’amour au lieu de prendre acte de sa précarité?”
“Henrik cite Luther : “Un mot qu’on a laissé s’envoler ne se laisse jamais plus rattraper par l’aile.” On peut raturer ce qui est écrit mais ce qui est dit est dit. Toute parole est fatale. Verba manent, contrairement à ce que prétend l’adage. Il n’est pas au pouvoir d’Anna et d’Henrik de désentendre les mots terribles qu’ils ont échangés. Et pourtant, ils restent ensemble. Ils recollent, consciencieusement, les morceaux.”
“L’esquif conjugal n’a pas fait naufrage. Il a traversé victorieusement les tempêtes. Mais ce triomphe de l’amour est sinistre. (…) L’insouciance des commencements ne reviendra jamais, ni le sérieux des grandes promesses. L’idylle est un mirage définitivement envolé."
Autre sorte d'amour : le papillonnage que pratique le héros du roman de Roth, Professeur de désir :
"L'étudiant brillant et appliqué qu'est devenu David Kepesh court après les filles. Plutôt que dissolu, il préfère dire desirous, brûlant de désirs. Il n'est pas à Venise, après tout, mais sur un campus de l'État de New York et, ce désir, il refuse de l'enserrer dans l'étui des sentiments convenables."
On y découvre, entre autres, son amour fou pour une femme dont il se lassera malheureusement très vite, comme si c'était une fatalité et que personne n'y pouvait rien. Dans cette partie, Finkielkraut parle aussi d'un livre de Tchekhov, L'Homme à l'étui, car le héros de Professeur de désir est son contraire : il veut vivre autrement que dans un étui, protégé de tout.
“Il n’aime pas Helen parce qu’elle est digne d’être aimée. Il l’aime sans l’estimer, il l’aime malgré lui, il l’aime bien qu’elle ne soit pas aimable. Idiotie de l’amour fou.”
“Il porte, pendant l’idylle, le deuil de l’idylle. L’ivresse des commencements à peine dissipée, il voit le mot “fin” s’inscrire. Tout ce qui est plaît, or ce plaisir est gagé sur le désir et le désir inexorablement retombe. L’été, c’est déjà l’automne.”
“Aucune catastrophe ne vient troubler son bonheur sinon la catastrophe annoncée du désir.”
Enfin, il nous montre comment Kundera conçoit l'amour dans son oeuvre. Notre époque est amoureuse de l'amour. Avec les personnages de L'Insoutenable légèreté de l'être ou d'autres romans et récits, l'auteur fait la démonstration que l'amour, chez Kundera, n'est pas narcissisme. Il prend l'exemple du quadragénaire qu'on trouve dans La Vie est ailleurs.
“En donnant au thème amoureux une place prépondérante et même centrale, cette civilisation a favorisé l’apparition d’un type humain particulier, l’homo sentimentalis, l’homme sentimental ou, plus précisément, l’homme qui révère ses sentiments et son moi sensible. Bref, nous avons, nous autres Européens, redoublé l’amour par l’amour de l’amour au risque de substituer celui-ci à celui-là. (…)
Comme le grand Aragon à qui la femme de sa vie écrit sur le tard une lettre bouleversante avec ces mots terribles : “le plaisir normal de faire quelque chose ensemble, tu ne le connais pas” et surtout : “même ma mort, c’est à toi que cela arriverait”. Tout à sa folie, le fou d’Elsa oublie Elsa. C’est son désir qu’il désire. C’est son sentiment qu’il adore. L’amour de l’amour a effacé la destination de l’amour.”
Et si l’amour durait est un livre très intéressant, qui se lit facilement et avidement parce que, quel que soit son comportement amoureux, le lecteur s'y retrouvera.
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Professeur de désir, P. Roth
Pour prolonger la lecture de Et si l'amour durait, j'ai lu Professeur de désir de Philippe Roth, livre qui m'a beaucoup plu et qui est largement au-dessus de mes attentes.
"Reste l’amour. L’amour! Au stade où nous en sommes! L’amour après tout ce que nous avons fait pour le détruire!"
David Kepesh, qu'on connaît dès son enfance au début du livre, nous raconte ses amours et désirs, de ses années d'étudiant à celles où il devient professeur de littérature comparée. Lecteur de Tchékhov, de Kafka, de Colette, il mène ses recherches universitaires et littéraires sans les dissocier de sa vie amoureuse : parti pour vivre une histoire avec Elisabeth Elverskog, une Suédoise, il rencontre une de ses amies, Birgitta, la délurée, la perverse, jeune femme très portée sur le sexe là où Elisabeth est plutôt chaste. Il les abandonne toutes deux, l'une ayant tenté de se suicider et l'autre étant prête à le suivre aux USA où il doit retourner. L'aventure sexuelle n'est pas l'amour...
Après ces aventures, il va rencontrer sa première femme, Helen, et il sait dès le départ que leur caractère les oppose, mais ils se marient quand même et, dès cet instant, c'est la descente aux enfers, les disputes incessantes, les désaccords pour des toasts, des lettres non postée, le quotidien usant et terne : Helen met en avant le fait qu'elle aurait pu vivre une autre vie avec un homme riche, Jimmy, qu'elle a quitté quand il proposait de se débarrasser de son épouse. Culpabilité, reproches... Ils se séparent enfin, David est en miettes, privé de son désir, dans une dépression qu'il tente de soigner sur le divan.
Beaucoup plus lucide sur l'amour et le désir, il rencontre finalement Claire, de dix ans sa cadette. Son recul lui fait voir dès le début que cette passion mourra un jour, très vite, bientôt, et chaque instant vécu porte le poids de cette fatalité contre laquelle il lutte pourtant. David sait, il l'a appris, que son désir est volatile, qu'une fois posé, il cherche ailleurs... Pourtant, Claire est la femme parfaite : toutes ses qualités ne vont-elles pas devenir des fardeaux pour lui?
L'angoisse, l'anticipation gâchent déjà le présent,elles bannissent aussi les instants de bonheur.
Et puis, il y a cette famille juive dont il est issu, la peur de la mort des parents, la perte inévitable qu'il éprouve déjà à la mort de sa mère. Les dernières lignes sont très belles, parce qu'on comprend que ce désir auquel il s'attache comme un fou est une manière de repousser l'angoisse de la disparition de ceux qu'il aime.
Kashima- Faux-monnayeur
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Date d'inscription : 29/09/2008
L'homme à l'étui, Tchékhov
Autre livre cité : L'homme à l'étui
Kashima- Faux-monnayeur
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