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La cause animale textes et reflexions

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Message  interseXion Sam 12 Mai 2012 - 20:00

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je m'offre à être mangé par les vaches étripées quand leurs cris emplissent la vallée...

Federico Garcia Lorca,
Poésie, Un poête à new York, "Officine et dénonciation",
tr. fr. Pierre Darmangeat modifiée, Gallimard, 1961.





Sous les multiplications

gît une goutte de sang de canard ;

sous les divisions

gît une goutte de sang de marin ;

sous les additions, un fleuve de sang tendre.

Un fleuve qui avance en chantant

par les chambres des faubourgs,

qui est argent, ciment ou brise

dans l'aube menteuse de New York.

Les montagnes existent. Je le sais.

Et les lunettes pour la science.

Je le sais. Mais je ne suis pas venu voir le ciel.

Je suis venu voir le sang trouble,

Le sang qui porte les machines aux cataractes

et l'esprit à la langue du cobra.

Tous les jours on tue à New York

quatre millions de canards,

cinq millions de porcs,

deux mille pigeons pour le plaisir des agonisants,

un million de vaches,

un million d'agneaux

et deux millions de coqs,

qui font voler les cieux en éclats.

Mieux vaut sangloter en aiguisant son couteau

ou assassiner les chiens

dans les hallucinantes chasses à courre

que résister dans le petit jour

aux interminables trains de lait,

aux interminables trains de sang,

et aux trains de roses aux mains liées

par les marchands de parfums.

Les canards et les pigeons,

les porcs et les agneaux

mettent leurs gouttes de sang

sous les multiplications,

et les terribles hurlements des vaches étripées

emplissent de douleur la vallée

où l'Hudson s'enivre d'huile.

Je dénonce tous ceux

qui ignorent l'autre moitié,

la moitié non rachetable

qui élève ses montagnes de ciment

où battent les coeurs

des humbles animaux qu'on oublie

et où nous tomberons tous

à la dernière fête des tarières.

Je vous crache au visage.

L'autre moitié m'écoute

dévorant, chantant, volant dans sa pureté,

comme les enfants des conciergeries

qui portent de fragiles baguettes

dans les trous où s'oxydent

les antennes des insectes.

Ce n'est pas l'enfer, c'est la rue.

Ce n'est pas la mort, c'est la boutique de fruits.

Il y a un monde de fleuves brisés et de distances insaisissables

dans la petite patte de ce chat

cassée par l'automobile,

et j'entends le chant du lombric

dans le coeur de maintes fillettes.

Oxyde, ferment, terre secouée.

Terre toi-même qui nage

dans les nombres de l'officine.

Que vais-je faire, mettre en ordre les paysages ?

Mettre en ordre les amours qui sont ensuite photographies,

Qui sont ensuite morceaux de bois et bouffées de sang?

Non, non, non, non ; je dénonce.

Je dénonce la conjuration

de ces officines désertes

qui n'annoncent pas à la radio les agonies,

qui effacent les programmes de la forêt,

et je m'offre à être mangé par les vaches étripées

quand leurs cris emplissent la vallée

où l'Hudson s'enivre d'huile.


Dernière édition par interseXion le Dim 13 Mai 2012 - 11:36, édité 2 fois
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Message  Kashima Sam 12 Mai 2012 - 20:52

Beau poème... J'aime la phrase avec le lombric...
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Message  interseXion Dim 13 Mai 2012 - 11:32

Souffrance existentielle
L'homme et l'animal


Dans l'histoire européenne, l'idée de l'homme s'exprime dans la manière dont on le distingue de l'animal. Le manque de raison de l'animal sert à démontrer la dignité de l'homme. Cette opposition a été prêchée avec tant de constance et d'unanimité par tous les prédécesseurs de la pensée bourgeoise - les anciens Juifs et les Pères de l'Église, puis au Moyen Age et dans les temps modernes - qu'elle fait partie du fond inaliénable de l'anthropologie occidentale comme peu d'autres idées. Même de nos jours elle est encore reconnue. Les behavioristes* ne l'ont oubliée qu'en apparence. Le fait qu'ils appliquent aux hommes les mêmes formules et les mêmes trouvailles qu'ils obtiennent en se déchaînant pour torturer des animaux sans défense dans leurs abominables laboratoires de physiologie, confirme cette différence d'une façon particulièrement cruelle. Les conclusions qu'ils tirent des corps mutilés des animaux ne s'appliquent pas à l'ani­mal en liberté, mais à l'homme d'aujourd'hui. Cet homme prouve en faisant violence à l'animal qu'il est seul dans toute la création à fonctionner volontairement de façon aussi mécanique, aussi aveugle et automatique, exactement comme les membres en convulsion des victimes que le spécialiste utilise à ses propres fins. Le professeur à sa table de dissection définit scientifiquement ces spasmes comme des réflexes; l'aruspice devant l'autel proclamait qu'ils étaient des signes donnés par les dieux qu'il servait. L'homme possède la raison qui progresse impitoyablement; l'animal qu'il utilise pour aboutir à ses conclusions irrévocables n'a que la terreur déraisonnable, l'instinct de la fuite qui lui est interdite.

L'absence de raison n'a pas de mots pour s'exprimer. Seul celui qui la possède est éloquent et l'histoire manifeste est pleine de cette éloquence. La terre entière témoigne de la gloire de l'homme. Durant les guerres, en temps de paix, dans l'arène et à l'abattoir, de la mort lente de l'éléphant vaincu par les hordes humaines primitives dans leur premier assaut planifié jusqu'à l'exploitation systématique du monde animal, les créatures privées de raison ont eu à subir la raison. Ce processus visible cache aux bourreaux le processus invisible: la vie sans la lumière de la raison, l'existence des animaux. C'est elle qui devrait constituer le véritable thème de la psychologie, car seule la vie des animaux est gouvernée par des impulsions psychiques; quand la psychologie entreprend d'expliquer les hommes, ils ont régressé et sont déjà des ruines. Et quand les hommes ont recours à la psychologie, l'espace réduit de leurs rapports immédiats est encore rétréci, même là ils sont réduits à l'état de choses. Recourir à la psychologie pour comprendre les autres, c'est faire preuve de cynisme, recourir à elle pour expliquer ses propres motivations n'est que sentimentalité. Mais la psychologie animale a perdu de vue son objet, dans les trappes et les labyrinthes de ses chicaneries elle a oublié que pour parler de l'âme, pour la concevoir, elle doit se tourner vers l'animal. Même Aristote, qui attribuait une âme aux animaux, une âme d'une espèce inférieure, il est vrai, a préféré traiter des corps, de leurs parties, de leurs mouvements et de la manière dont ils se reproduisent, plutôt que de parler de l'existence spécifique de l'animal.

*comportementalistes



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Theodor W. Adorno et Max Horkheimer,
La dialectique de la raison,
Gallimard, collection Tel, 1983, p.268-270.
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Message  interseXion Dim 13 Mai 2012 - 12:06

A poil devant un chat

Depuis le temps, donc.

Depuis le temps, peut-on dire que l'animal nous regarde ? Quel animal ? L'autre.

Souvent je me demande, moi, pour voir, qui je suis – et qui je suis au moment où, surpris nu, en silence, par le regard d'un animal, par exemple les yeux d'un chat, j'ai du mal, oui, du mal à surmonter une gêne.

Pourquoi ce mal ?

J'ai du mal à réprimer un mouvement de pudeur. Du mal à faire taire en moi une protestation contre l'indécence. Contre la malséance qu'il peut y avoir à se trouver nu, le sexe exposé, à poil devant un chat qui vous regarde sans bouger, juste pour voir. Malséance de tel animal nu devant l'autre animal, dès lors, on dirait une sorte d'animalséance : l'expérience originale, une et incomparable de cette malséance qu'il y aurait à paraître nu en vérité, devant le regard insistant de l'animal, un regard bienveillant ou sans pitié, étonné ou reconnaissant. Un regard de voyant, de visionnaire ou d'aveugle extra-lucide. C'est comme si j'avais honte, alors, nu devant le chat, mais aussi honte d'avoir honte. Réflexion de la honte, miroir d'une honte honteuse d'elle-même, d'une honte à la fois spéculaire, injustifiable et inavouable. Au centre optique d'une telle réflexion se trouverait la chose – et à mes yeux le foyer de cette expérience incomparable qu'on appelle la nudité. Et dont on croit qu'elle est le propre de l'homme, c'est-à-dire étrangère aux animaux, nus qu'ils sont, pense-t-on alors, sans la moindre conscience de l'être.

Honte de quoi et nu devant qui ? Pourquoi se laisser envahir de honte ? Et pourquoi cette honte qui rougit d'avoir honte ? Surtout, devrais-je préciser, si le chat m'observe nu de face, en face-à-face, et si je suis nu face aux yeux du chat qui me regarde de pieden cap, dirais-je, juste pour voir, sans se priver de plonger sa vue, pour voir, en vue de voir, en direction du sexe. Pour voir, sans aller y voir, sans y toucher encore, et sans y mordre, bien que cette menace reste au bout des lèvres ou de la langue. Il se passe là quelque chose qui ne devrait pas avoir lieu – comme tout ce qui arrive, en somme, un lapsus, une chute, une défaillance, une faute, un symptôme (et symptôme, vous le savez, cela veut dire aussi la chute : le cas, l'événement malheureux, la coïncidence, l'échéance, la méchante). C'est comme si, à l'instant, j'avais dit ou j'allais dire l'interdit, quelque chose qu'on ne devrait pas dire. Comme si d'un symptôme j'avouais l'inavouable et que, comme on dit, j'avais voulu me mordre la langue.

Honte de quoi et devant qui ? Honte d'être nu comme une bête. On croit généralement, mais aucun des philosophes que je m'en vais interroger tout à l'heure n'en fait mention, que le propre des bêtes, et ce qui les distingue en dernière instance de l'homme, c'est d'être nus sans le savoir. Donc de ne pas être nus, de ne pas avoir le savoir de leur nudité, la conscience du bien et du mal, en somme.

Dès lors, nus sans le savoir, les animaux ne seraient pas, en vérité, nus.

Ils ne seraient pas nus parce qu'ils sont nus. En principe, à l'exception de l'homme, aucun animal n'a jamais songé à se vêtir. Le vêtement serait le propre de l'homme, l'un des « propres » de l'homme. Le « se vêtir » serait inséparable de toutes les autres figures du « propre de l'homme », même si on en parle moins que de la parole ou de la raison, du logos, de l'histoire, du rire, du deuil, de la sépulture, du don, etc. (La liste des « propres de l'homme » forme toujours une configuration, dès le premier instant. Pour cette raison même, elle ne se limite jamais à un seul trait et elle n'est jamais close : par structure, elle peut aimanter un nombre non fini d'autres concepts, à commencer par le concept de concept.)

L'animal, donc, n'est pas nu parce qu'il est nu. Il n'a pas le sentiment de sa nudité. Il n'y a pas de nudité « dans la nature ». Il n'y a que le sentiment, l'affect, l'expérience (consciente ou inconsciente) d'exister dans la nudité. Parce qu'il est nu, sans exister dans la nudité, l'animal ne se sent ni ne se voit nu. Et donc il n'est pas nu. Du moins le pense-t-on. Pour l'homme ce serait le contraire, et le vêtement répond à une technique. Nous aurions donc à penser ensemble, comme un même « sujet », la pudeur et la technique. Et le mal et l'histoire, et le travail, et tant d'autres choses qui vont avec lui. L'homme serait le seul à s'inventer un vêtement pour cacher son sexe. Seul il serait homme à devenir capable de nudité, à savoir pudique, à se savoir pudique parce qu'il n'est plus nu. Et se savoir, ce serait se savoir pudique. L'animal, lui, nu parce qu'il n'a pas conscience d'être nu, on croit qu'il resterait aussi étranger à la pudeur qu'à l'impudeur. Et au savoir de soi qui s'y engage.

Qu'est-ce que la pudeur si l'on ne peut être pudique qu'en restant impudique, et réciproquement ? L'homme ne serait plus jamais nu parce qu'il a le sens de la nudité, à savoir la pudeur ou la honte. L'animal serait dans la non-nudité parce que nu, et l'homme dans la nudité là où il n'est plus nu. Voilà une différence, voilà un temps ou un contretemps entre deux nudités sans nudité. Ce contretemps ne fait que commencer à nous donner du mal, du côté de la science du bien et du mal.

Devant le chat qui me regarde nu, aurais-je honte comme une bête qui n'a plus le sens de sa nudité ? Ou au contraire honte comme un homme qui garde le sens de la nudité ? Qui suis-je alors ? Qui est-ce que je suis ? À qui le demander sinon à l'autre ? Et peut-être au chat lui-même ? (...)


Lire la totalité du texte ici


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Jacques Derrida,
L'animal que donc je suis,
édition établie par Marie-Louise Mallet,
Paris, Galilée, 2006, p. 18-28.
Texte paru inialement dans Marie-Louise Mallet (dir.), L'animal autobiographique. Autour de Jacques Derrida, Galilée, 1999, p. 253-261.
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Message  Kashima Mer 16 Mai 2012 - 22:15

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