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Textes et extraits d'A. Nothomb

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Message  Kashima Dim 13 Mar 2011 - 19:50

Textes et extraits d'A. Nothomb 38839_10

La colère, c'est comme le choléra

Biologiquement, elle correspond à une décharge d’adrénaline. Territoire inconnu où l’on se sent capable de tout, mais surtout du pire, ou l’on n’a plus la moindre trace de contrôle sur soi, elle est « sainte » pour les chrétiens, mais manifestation ridicule au Japon.
« Ira furor brevis est », écrit Horace. Rien que quatre mots dont aucun n’est superflu pour nous dire une grande vérité: « La colère est une courte folie.»

Oui, la colère est une forme de folie : ceux qui comme moi ont la malchance d’être colériques savent que, pendant la crise, on n’est pas soi-même. Ce n’est pas pour rien que l’on emploie l’expression « être hors de soi » ou « sortir de ses gonds » : on quitte les frontières habituelles de la rationalité pour un territoire inconnu où l’on se sent capable de tout, mais surtout du pire, car dans cette zone-là, on n’a plus la moindre trace de contrôle sur soi. En cela, la colère est probablement l’état le plus anarchique qu’un humain puisse vivre.
On parle de l’anarchie du désir, mais l’être qui désire sait ce qu’il veut et où il va, quand l’être déchaîné de colère ne sait absolument pas où l’emporte sa furie.
Horace s’empresse de nous rassurer. L’ordre des mots, dans la phrase latine, ne doit rien au hasard : la colère est une folie, certes, mais courte. C’est la seule raison valable pour laquelle on n’enferme pas les colériques dans des asiles d’aliénés : l’être hors de lui est bon pour la camisole de force, mais dans une demi-heure il sera parfaitement normal. Et encore : une demi-heure, c’est long. La crise de colère dure en moyenne une dizaine de minutes. Souvent moins. Si l’on a l’impression qu’elle dure tellement plus longtemps, c’est à cause d’une illusion comparable à celle des tremblements de terre : les séismes graves paraissent interminables à ceux qui les vivent alors que leur durée atteint rarement la minute. L’intensité de la colère est si violente qu’elle ne pourrait durer. Malheureusement, l’effet produit dure.
Une saine réaction d’autodéfense.
La brièveté de la crise, qu’Horace nous présente comme une circonstance atténuante, me fait hélas l’effet inverse, car elle accentue le côté déshonorant de la chose : cela valait-il bien la peine de se mettre dans un tel état, de proférer des mots aussi meurtriers avec une conviction si absolue, si c’était pour redevenir doux comme un agneau dix minutes plus tard ?
Si le courroux durait, on serait peut-être plus crédible.
Biologiquement, la colère correspond à une décharge d’adrénaline, hormone d’urgence sécrétée par la glande médullosurrénale en cas d’agression. C’est donc à la base une réaction excellente et très saine d’autodéfense contre un ennemi : si le ton de la voix monte, si la force musculaire augmente, c’est pour ordonner à l’adversaire de mettre un terme à son attitude inacceptable. Même la colère solitaire est recommandable, en ceci qu’elle libère et débarrasse de toutes sortes de flux toxiques. Dès lors, la question qui s’impose est celle-ci : pourquoi la colère a-t-elle dégénéré ? Pourquoi le bon réflexe est-il devenu cette pathologie pitoyable et grotesque ? Peut-être tout simplement parce que l’ennemi a changé.
Sauf exception, nous ne vivons plus des temps épiques où il s’agissait de se défendre contre des mammouths, des guerriers armés jusqu’aux dents, des bandits de grand chemin ou autres pirates. Cela ne signifie pas que nous n’ayons plus d’ennemis, loin de là, mais que l’adversaire porte désormais des oripeaux beaucoup moins héroïques : voisins de palier, employeurs, chien-chien de la vieille dame ou autres belles-sœurs. Quand l’ennemi a moins d’allure, le combat a forcément moins de classe. Et quand l’ennemi change, on change soi-même aussi. La menace devenant vague et d’apparence débonnaire, on ne parvient plus bien à l’identifier et on peut en arriver à la voir où elle n’est pas. Cela s’appelle la paranoïa, qui joue un rôle de plus en plus fréquent dans l’apparition de la colère. Or la paranoïa étant par définition une création personnelle, on peut considérer que pas mal de colères modernes ont pour adversaire véritable soi-même. C’est probablement pour cette raison que la colère, défensive au départ, est en train de devenir autodestructrice. Pour ma part, je n’ai jamais vécu de colère dont je ne sorte endommagée, au physique comme au moral. Je ne dois pas être la seule.
En Occident, le courroux n’est pas trop dévalorisé : on va jusqu’à parler de « sainte colère », faisant allusion au Christ chassant les marchands du temple. Il n’en va pas de même en Orient. Au Japon, la colère est considérée comme une manifestation totalement ridicule, au point qu’elle provoque l’hilarité d’autrui. Je partage à fond ce dernier point de vue.
La sainte colère ? Je suis comme saint Thomas, je n’y crois pas, pour cette raison que je n’en ai jamais vu. Même les colères causées par les motifs les plus nobles et justes m’ont toujours paru dégradantes. Que peut-il y avoir de saint et donc de vénérable dans le fait de se mettre à crier, à trembler, voire à frapper ?
Je parle, hélas, en connaissance de cause, tant pour les colères auxquelles j’ai assisté que pour celles dont j’ai été la proie. La direction de ce journal a été judicieusement inspirée en me proposant de traiter ce sujet. Si elle m’avait demandé de parler d’un autre vice, je n’aurais pas eu beaucoup à dire ; si elle m’avait suggéré de parler d’une vertu, je n’aurais carrément rien eu à dire.
Mais me confier à moi la mission de raconter la colère était aussi approprié que de sélectionner Bill Clinton pour parler de l’adultère.
D’abord, une précision linguistique : les puristes s’indigneront de me voir employer presque exclusivement le mot colère, et donc de le répéter immodérément, au lieu de recourir à l’élégant usage français qui consiste à se servir de synonymes, d’autant qu’en l’occurrence ils ne manquent pas : fureur, rage, rogne, irritation, etc. C’est que je tiens la colère pour une maladie bien précise et bien répertoriée, dont aucun de ces mots ne pourrait exprimer les symptômes exacts.
Dans un article médical qui traiterait du choléra, on trouverait normal que le rédacteur répète sans mesure le mot choléra au lieu d’employer des mots voisins.
Et ce n’est pas par hasard que j’ai choisi le choléra puisque la colère a exactement la même étymologie. Il y a d’ailleurs des symptômes en commun avec le choléra : on peut avoir des crampes de colère, voire vomir de colère. La colère, c’est un peu le choléra, version bénigne. Je suis née d’une colère, deux ans après ma de naissance. C’est en effet à l’état de légume que j’ai fait mon apparition parmi les humains. Pendant les deux premières années de ma vie, j’ai été une plante au sens clinique du terme : mon corps n’esquissait que les mouvements les plus végétatifs, et encore. Même mes yeux demeuraient immobiles.
Inutile de préciser que je ne marchais ni ne parlais ni ne pleurais. Les médecins ne voyaient pas d’issue à cette torpeur absolue. Mes parents étaient plutôt contents d’avoir pour troisième enfant une chose aussi peu dérangeante, après deux aînés très remuants. Et puis, contre toute attente, à l’âge de deux ans, on m’a retrouvée dans mon lit en proie à une colère pathologique : il paraît que je hurlais de rage, que mes yeux jetaient des éclairs et que je jetais par terre tout ce qui était à ma portée. Vivante, enfin ! On n’a jamais su ce qui était à l’origine de ce réveil furieux. Depuis, cela n’a pas arrêté.
Je devrais donc être reconnaissante envers la colère qui, somme toute, m’a créée. Je ne le suis cependant pas.
D’abord, je pense qu’il ne devrait pas être foncièrement déplaisant d’être un légume. Ensuite, je sais combien je souffre de ces accès qui jalonnent mon existence. Lors de la colère la plus mémorable de ma vie, à l’âge de vingt ans, je me suis mise dans un tel état que toutes les veines capillaires de la partie gauche de mon visage ont explosé : pendant une semaine, l’hémisphère gauche de ma tête a eu l’aspect d’une vaste tache de vin.
Cela ne s’est plus reproduit, mais ce qui m’arrive souvent, c’est d’avoir, suite à une crise, des crampes d’estomac intolérables. Je ne vois pas comment le corps pourrait ressortir indemne de ce genre d’implosion de violence concentrée. Pas seulement le corps, d’ailleurs. Les bonnes relations avec autrui en pâtissent aussi, c’est le moins qu’on puisse dire. Comment convaincre que l’on est fréquentable celui qui vous a vu à l’état de psychopathe hurlant et démolissant tout sur son passage? « Oh ! ce n’était qu’un accès de colère », dit-on pour rassurer. La brièveté de la crise rend l’explication encore moins crédible : dix minutes plus tôt, on vous voyait en train de poursuivre quelqu’un avec un couteau, et là, on vous voit en train de lui servir l’apéritif. Il est difficile de persuader qu’en dehors de ces moments-là on est quelqu’un de charmant. Et ce qui est difficile à expliquer au spectateur l’est encore plus à celui qu’on poursuivait.
Violence physique, J’en ai parlé à des médecins. Ils sont formels : du moment qu’on ne passe pas aux actes, c’est très bien. La menace est libératrice. On peut donc continuer.
Cela me confirme dans l’idée que les docteurs sont des excentriques. Le fait est que je ne suis jamais passée aux actes, que je n’ai jamais exercé de violences physiques sur personne et que, vu mon absence de muscles, j’en serais de toute façon incapable. Mais je comprends très bien ceux qui passent à l’acte en pareil cas, je sais ce qu’ils éprouvent. J’ai envie de plaider pour eux car d’aucuns prétendent que c’est dans la colère qu’ils montrent enfin leur vrai visage. Et cela, c’est faux. C’est aussi injuste que de dire d’un épileptique : « C’est dans sa crise qu’il est vraiment lui-même. » Non, c’est une maladie. Il ne faut pas totalement excuser le colérique, car son potentiel de contrôle est plus grand que pour l’épilepsie. Il n’empêche qu’étouffer sa colère reste une épreuve herculéenne. Cela dit, si indigne soit la colère, il faut reconnaître qu’elle peut se révéler singulièrement efficace.
Je me dois de raconter ici cet exemple édifiant. C’était un soir où mon père harcelait ma mère de cent façons : « Dépêche-toi, nous allons être en retard ! » ou « Tu ne vas quand même pas mettre cette robe-là ? » ou encore « On n’a pas idée de passer tant de temps à se maquiller ! » Il faut savoir que ma mère subissait ce manège chaque début de soirée depuis vingt ans, dans un calme olympien. Mais ce soir-là, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Soudain, vingt années de patience explosèrent et, sans un mot, ma mère se jeta sur mon père pour le tabasser. Eh bien ! depuis ce moment, non seulement il ne la harcèle plus, mais il la respecte beaucoup. Comme quoi la colère, quand elle est bien utilisée, peut être hautement recommandable.

Le Figaro, août 1999
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Message  Nicole Dim 13 Mar 2011 - 20:16

I love you C'est vrai que Nothomb se lit comme on boit du petit lait (même si j'ignorais qu'elle avait prêté sa plume au Figaro)...

Suspect Juste une remarque, cependant -- dont l'origine est d'ailleurs plus due aux propos de Saint Thomas qu'à ceux d'Amélie Nothomb :

Amélie Nothomb a écrit:La sainte colère ? Je suis comme saint Thomas, je n’y crois pas, pour cette raison que je n’en ai jamais vu.
Neutral Je demeure en bonne subjectiviste persuadée de l'inverse : on ne voit pas les choses parce que l'on n'y croit pas...

Smile Merci pour cette publication, Kashima !

bisou x 1001.
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Message  Kashima Mar 15 Mar 2011 - 19:29

Nicole a écrit:
I love you C'est vrai que Nothomb se lit comme on boit du petit lait (même si j'ignorais qu'elle avait prêté sa plume au Figaro)...

C'était ponctuel (ils avaient dû lui demander un texte sur la colère), heureusement pas une habitude! Smile
Amélie ne dit pas ses idées politiques, de toutes façons, et bien qu'issue d'une famille noble, elle ne me semble pas de droite.
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Message  Kashima Ven 6 Sep 2013 - 18:28

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