Emily Dickinson

Emily DICKINSON ou l'art de n'être personne..





" On pourrait choisir de se retirer de cette entreprise ici-bas "- comme le fit E.DICKINSON . Rester et persévérer en hors-je(u) . Voire même se faire disparaître . Tel une vestale recluse au tréfond d'elle-même , elle avait coutume de ne jamais quitter sa chambre .Elle s'y écoutait vivre , surtout de nuit . Toute de blanc vêtue , elle s' y livrait aussi au rêve souverain de n'être Personne . S'absentant définitivement du commerce de ses semblables .

Seul lui importait ce qui dut se tramer au dedans de son cerveau - "plus vaste que le ciel" - et qui la faisait soliloquer à vide , en insulaire , et s'adonner à des actes de magie blanche . Ainsi célèbre-t-elle " l'axe de la rotation terrestre par les douze effectuée " , envoie des "offrandes à Mrs Machinchose ", ou s'adresse directement aux 4 Eléments en les priant de collaborer à son travail d'investigation cosmogonique . Son entourage l'appellait le "Mythe" de la contrée . Et un de ses amis dut avouer à son sujet que sans le toucher "elle le vidait de sa substance ".

Mais au delà de la Prêtrise pythiatique dont on ne l'a que trop souvent affublée , il serait sans doute plus approprié de ne voir en elle qu'une simple " diseuse " qui se tire ses pensées au sort et en divague avec . Ce sont pensées "échappées", façétieuses et farçesques , et qu'elle laisse s'agencer en chassé-croisé sous forme de missives câblées en morse . Dans une "sorte d'urgence quasi respiratoire" (L.Giraudon) elles lui sont autant d'appels d'air , de signaux d'alerte à l'aide desquels elle inventera son "Courrier intérieur" . Un courrier sténographique , à usage privé , et qu'elle se gardera bien de rendre publique de son vivant . Comme si l'échappée en solitaire que fut sa trajectoire ne pouvait s'effectuer qu'en prenant à tout jamais son congé de soi et d'autrui , et en vue de n'être plus personne . Plongée dans ce "sentiment océanique" qui touche aux abysses du prénatal et qui a aussi partie liée avec l'anonymat du vivant .

"Qu'est-ce qui parle ou chante quand personne n'est là " ?

Du fin fond de cette vacance identitaire , est- ce encore une voix , mais qui serait d'aucun ? Voix "extime" , de "Niemand" , de qui a perdu vue et connaissance de soi-même , et pour se mettre dès lors à parler comme elle le fit , un peu en "médium" , au nom et à l'esprit des Choses , en les sanctifiant parfois d'une Majuscule . Car proférer revient chez elle à enfanter selon le sens biblique du terme anglais "to deliver" . Et dire ainsi une Chose s'avère dans sa bouche un acte quasi baptismal mettant en jeu l'Esprit qui gîte et sommeille dans la Chose et qu'elle ne cessait d'interpeller en recourant à une forme de spiritisme scripturaire . D'ailleurs elle avait coutume de fréquenter assidûment les fantômes dont on sait qu'ils restent , comme maints volcans , en activité.

Si je puis empêcher un coeur de se briser, je n’aurai pas vécu en vain.»
Emily Dickinson