trans-lecture/ écriture: écrire dans une langue étrangère. Makine-Tawada
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trans-lecture/ écriture: écrire dans une langue étrangère. Makine-Tawada
Kashima, en suggérant Le testament francais de Makine, tu m'as donné une idée de lecture que je nomme "trans-lecture/ écriture" qui consisterait à présenter des auteurs n'écrivant pas dans leur langue maternelle, des auteurs de l'exil, apatrides.
Makine, né en Russie est un écrivain de langue francaise. Sa terre d'exil est la France, celle de Tawada: l'Allemagne.
Tawada que tu as évoquée également est japonaise et écrit en japonais et en allemand. Qui plus est, elle est russophone et russophile et a recu le Prix Adelbert von Chamisso, décerné par la fondation Robert Bosch, récompensant chaque année des écrivains d'expression allemande pour lesquels l'allemand n'est pas la langue maternelle. Depuis sa création en 1985, ce prix a été attribué à 45 auteurs de 20 pays différents. Le prix est délivré par l'Académie bavaroise des Beaux-Arts.
Je suppose qu'il y a aussi en France, un Prix équivalent. Lequel?
Yoko Tawada
« Issu d’une famille de commerçants ruinée par les bombardements, le père de Yoko Tawada s’installe à Tokyo juste après la guerre avec un baluchon pour seul bagage. De lui, sa famille dit qu’il est "contaminé par le mal rouge" – l’un des premiers mots dont s’étonne sa petite fille, née en 1960. Comment la peau de son père peut-elle être rouge tout en ne l’étant pas ? Elle n’aura pas fini de s’interroger sur la peau et les mots…
Yoko Tawada raconte également dans Narrateurs sans âmes le très beau petit livre qui la révéla en France (Verdier, 2001) – comment la triple invocation "À Moscou, à Moscou, à Moscou !" était devenue, en famille, l’image de l’inaccessible. Ses parents avaient entendu l’appel lors d’une représentation des Trois sœurs de Tchekhov. Pour les trois femmes, c’est la ville de leurs chimères. Elles ne s’y rendront jamais. Pour les parents de Yoko, frappés par le chômage, Moscou sonnait comme une formule magique. Ils l’évoquaient en riant de leurs propres illusions. "À Moscou !" Le père n’en poursuivait pas moins son projet "irréaliste" de fonder une maison d’édition.
On pouvait le prévoir. Yoko Tawada commence par étudier le russe, envisageant de se spécialiser en slavistique. À 19 ans, elle part vers la ville mythique où se résume, pour elle, l’objet fabuleux nommé "Europe". Ce voyage, la Japonaise le fera en train, son mode de transport favori. Elle s’en explique dans Narrateurs sans âmes et dans les treize courts récits – treize "voitures", dit-elle – de Train de nuit avec suspects.
"J’ai lu dans un livre sur les Indiens que l’âme ne peut pas voler plus vite qu’un avion. C’est pourquoi on perd son âme quand on voyage en avion, et on arrive à destination mentalement absent. Même le Transsibérien roule plus vite qu’une âme peut voler. Lors de ma première venue en Europe, par le Transsibérien, j’ai perdu mon âme. Quand je suis repartie par le train, mon âme était encore en route vers l’Europe. Je n’ai pas pu l’attraper. Lorsque je suis revenue en Europe, elle était en route vers le Japon […]. Je ne sais plus du tout où mon âme se trouve."
Toute russophone qu’elle soit, et fascinée par la France, comme en témoigne le roman L’Œil nu – autre nouveauté de cette rentrée –, Yoko Tawada choisit néanmoins l’Allemagne. C’est le pays de Peter Schlemil, l’homme qui perdit son ombre.
Pendant que le corps écrit du côté de Hambourg – là où Yoko Tawada s’est installée –, l’âme poursuit ses voyages à la fois chamaniques, fantaisistes et pleins d’ironique sagesse. Yoko examine avec perplexité les situations où se trouve Tawada. « Le doute, par ribambelles, enfante des ogres », lit-on dans Train de nuit. Faut-il s’étonner que la jeune femme, devenue germanophone, ait consacré sa thèse (en allemand) au thème de l’automate et des poupées parlantes, particulièrement cher à Hoffmann : "Jouet et magie verbale dans la littérature européenne."
Nous n’en sommes pas là, toutefois, quand Yoko Tawada s’installe à Hambourg, en 1982. Venue faire un stage en librairie, elle travaille d’abord dans une société d’exportation et de distribution de livres – réalisant ainsi le rêve paternel. Après avoir parachevé ses études de littérature allemande, elle se consacre à ses propres livres. Elle écrit alternativement en japonais et dans sa nouvelle langue : poésie, théâtre, textes courts, romans.
D’abord publiée en Allemagne, Yoko Tawada trouve un éditeur au Japon. Dès lors, elle poursuit son œuvre double mais évite de traduire elle-même ses textes japonais en allemand, alors qu’il lui arrive de se traduire de l’allemand en japonais, voire de mêler dans un même livre des textes en japonais, leur traduction allemande et des textes rédigés en allemand.
Son traducteur français, Bernard Banoun, résume en une belle formule ce rapport aux idéogrammes et à l’alphabet latin, qui est un rapport aux signes : "Allemand et japonais : ce sont deux systèmes de pensée, deux œuvres différentes à thèmes communs. Yoko le dit souvent : lorsqu’elle parle l’anglais, elle se traduit de l’allemand, alors qu’elle ne se traduit pas du japonais lorsqu’elle parle l’allemand." Et c’est avec une certaine malice que la Japonaise évoque Catherine Deneuve dans L’Œil nu – Catherine Deneuve, figure onirique pour une jeune Vietnamienne venue de RDA, seule à Paris en 1988, ignorant tout du français et plongée dans les films où joue l’actrice. Jeu de lettres aussi : le caractère C, disséminé dans le texte, pose plus d’un problème à la langue allemande dont on connaît la prédilection pour le K.
Juvénile, attentive, mobile, Yoko Tawada est d’une incroyable souplesse. Elle se veut d’une "disponibilité totale, mentale et sensorielle", une caisse de résonance pour des voix polyphoniques. Elle aime s’associer d’autres formes d’expression, alliant texte, piano et danse. »
Jean-Maurice de Montremy, Livres Hebdo, juin 2005
Makine, né en Russie est un écrivain de langue francaise. Sa terre d'exil est la France, celle de Tawada: l'Allemagne.
Tawada que tu as évoquée également est japonaise et écrit en japonais et en allemand. Qui plus est, elle est russophone et russophile et a recu le Prix Adelbert von Chamisso, décerné par la fondation Robert Bosch, récompensant chaque année des écrivains d'expression allemande pour lesquels l'allemand n'est pas la langue maternelle. Depuis sa création en 1985, ce prix a été attribué à 45 auteurs de 20 pays différents. Le prix est délivré par l'Académie bavaroise des Beaux-Arts.
Je suppose qu'il y a aussi en France, un Prix équivalent. Lequel?
Yoko Tawada
« Issu d’une famille de commerçants ruinée par les bombardements, le père de Yoko Tawada s’installe à Tokyo juste après la guerre avec un baluchon pour seul bagage. De lui, sa famille dit qu’il est "contaminé par le mal rouge" – l’un des premiers mots dont s’étonne sa petite fille, née en 1960. Comment la peau de son père peut-elle être rouge tout en ne l’étant pas ? Elle n’aura pas fini de s’interroger sur la peau et les mots…
Yoko Tawada raconte également dans Narrateurs sans âmes le très beau petit livre qui la révéla en France (Verdier, 2001) – comment la triple invocation "À Moscou, à Moscou, à Moscou !" était devenue, en famille, l’image de l’inaccessible. Ses parents avaient entendu l’appel lors d’une représentation des Trois sœurs de Tchekhov. Pour les trois femmes, c’est la ville de leurs chimères. Elles ne s’y rendront jamais. Pour les parents de Yoko, frappés par le chômage, Moscou sonnait comme une formule magique. Ils l’évoquaient en riant de leurs propres illusions. "À Moscou !" Le père n’en poursuivait pas moins son projet "irréaliste" de fonder une maison d’édition.
On pouvait le prévoir. Yoko Tawada commence par étudier le russe, envisageant de se spécialiser en slavistique. À 19 ans, elle part vers la ville mythique où se résume, pour elle, l’objet fabuleux nommé "Europe". Ce voyage, la Japonaise le fera en train, son mode de transport favori. Elle s’en explique dans Narrateurs sans âmes et dans les treize courts récits – treize "voitures", dit-elle – de Train de nuit avec suspects.
"J’ai lu dans un livre sur les Indiens que l’âme ne peut pas voler plus vite qu’un avion. C’est pourquoi on perd son âme quand on voyage en avion, et on arrive à destination mentalement absent. Même le Transsibérien roule plus vite qu’une âme peut voler. Lors de ma première venue en Europe, par le Transsibérien, j’ai perdu mon âme. Quand je suis repartie par le train, mon âme était encore en route vers l’Europe. Je n’ai pas pu l’attraper. Lorsque je suis revenue en Europe, elle était en route vers le Japon […]. Je ne sais plus du tout où mon âme se trouve."
Toute russophone qu’elle soit, et fascinée par la France, comme en témoigne le roman L’Œil nu – autre nouveauté de cette rentrée –, Yoko Tawada choisit néanmoins l’Allemagne. C’est le pays de Peter Schlemil, l’homme qui perdit son ombre.
Pendant que le corps écrit du côté de Hambourg – là où Yoko Tawada s’est installée –, l’âme poursuit ses voyages à la fois chamaniques, fantaisistes et pleins d’ironique sagesse. Yoko examine avec perplexité les situations où se trouve Tawada. « Le doute, par ribambelles, enfante des ogres », lit-on dans Train de nuit. Faut-il s’étonner que la jeune femme, devenue germanophone, ait consacré sa thèse (en allemand) au thème de l’automate et des poupées parlantes, particulièrement cher à Hoffmann : "Jouet et magie verbale dans la littérature européenne."
Nous n’en sommes pas là, toutefois, quand Yoko Tawada s’installe à Hambourg, en 1982. Venue faire un stage en librairie, elle travaille d’abord dans une société d’exportation et de distribution de livres – réalisant ainsi le rêve paternel. Après avoir parachevé ses études de littérature allemande, elle se consacre à ses propres livres. Elle écrit alternativement en japonais et dans sa nouvelle langue : poésie, théâtre, textes courts, romans.
D’abord publiée en Allemagne, Yoko Tawada trouve un éditeur au Japon. Dès lors, elle poursuit son œuvre double mais évite de traduire elle-même ses textes japonais en allemand, alors qu’il lui arrive de se traduire de l’allemand en japonais, voire de mêler dans un même livre des textes en japonais, leur traduction allemande et des textes rédigés en allemand.
Son traducteur français, Bernard Banoun, résume en une belle formule ce rapport aux idéogrammes et à l’alphabet latin, qui est un rapport aux signes : "Allemand et japonais : ce sont deux systèmes de pensée, deux œuvres différentes à thèmes communs. Yoko le dit souvent : lorsqu’elle parle l’anglais, elle se traduit de l’allemand, alors qu’elle ne se traduit pas du japonais lorsqu’elle parle l’allemand." Et c’est avec une certaine malice que la Japonaise évoque Catherine Deneuve dans L’Œil nu – Catherine Deneuve, figure onirique pour une jeune Vietnamienne venue de RDA, seule à Paris en 1988, ignorant tout du français et plongée dans les films où joue l’actrice. Jeu de lettres aussi : le caractère C, disséminé dans le texte, pose plus d’un problème à la langue allemande dont on connaît la prédilection pour le K.
Juvénile, attentive, mobile, Yoko Tawada est d’une incroyable souplesse. Elle se veut d’une "disponibilité totale, mentale et sensorielle", une caisse de résonance pour des voix polyphoniques. Elle aime s’associer d’autres formes d’expression, alliant texte, piano et danse. »
Jean-Maurice de Montremy, Livres Hebdo, juin 2005
Invité- Invité
Re: trans-lecture/ écriture: écrire dans une langue étrangère. Makine-Tawada
Très bonne idée de sujet.
Les auteurs arabes m'épatent souvent par leur maîtrise de la langue française.
Pour moi, c'est un mystère : comment sentir profondément une langue autre que la sienne? Je ne saurais pas écrire autrement qu'en français, j'aurais l'impression que les mots m'échappent.
Nabokov et Beckett, me semblent-ils, étaient dans ce cas de figure.
Hannah Arendt n'est pas loin, grâce à ton sujet, ses mots sur la langue mère non plus.
Les auteurs arabes m'épatent souvent par leur maîtrise de la langue française.
Pour moi, c'est un mystère : comment sentir profondément une langue autre que la sienne? Je ne saurais pas écrire autrement qu'en français, j'aurais l'impression que les mots m'échappent.
Nabokov et Beckett, me semblent-ils, étaient dans ce cas de figure.
Hannah Arendt n'est pas loin, grâce à ton sujet, ses mots sur la langue mère non plus.
Kashima- Faux-monnayeur
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Date d'inscription : 29/09/2008
Bilinguisme
A propos, pas lu, mais je viens de trouver ça :
Bilinguisme
Bilinguisme
Kashima- Faux-monnayeur
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trans-lecture/ écriture
Nabokov, Beckett oui mais encore une fois n'oublie pas la beauté en triade du corps platonicien!...Et qu'en est-il de Cioran?
Tu ne peux pas t'imaginer écrire dans une langue, autre que ta langue maternelle car tu ne connais pas ce sentiment d'être "apatride" et tu penses et "habites" ( je reprends la formule heideggérienne que je développerai plus tard en référence à Hölderlin) dans une langue, qui est ta langue maternelle. Ce qui n'est pas le cas pour moi. Ma langue "maternelle" m'est depuis longtemps "étrangère.
Tu évoques Arendt, à juste titre...N'oublie pas Kristeva dans cet exil!
" Je peux promettre de ne jamais cesser d’être une Allemande au sens où vous l’entendez ; c’est-à-dire que je ne renierai rien, ni votre Allemagne et celle de Heinrich, ni la tradition dans laquelle j’ai grandi, la langue dans laquelle je pense et dans laquelle ont été écrits les poèmes que je préfère. Je ne me raconterai pas d’histoires, je ne m’inventerai ni un passé juif ni un passé américain." Hannah Arendt
Quant aux auteurs arabes, quel mérite?! Quand tu dis "arabe", j'entends "Maghreb"...anciennes colonies francaises où l'on parle encore francais!
Tu ne peux pas t'imaginer écrire dans une langue, autre que ta langue maternelle car tu ne connais pas ce sentiment d'être "apatride" et tu penses et "habites" ( je reprends la formule heideggérienne que je développerai plus tard en référence à Hölderlin) dans une langue, qui est ta langue maternelle. Ce qui n'est pas le cas pour moi. Ma langue "maternelle" m'est depuis longtemps "étrangère.
Tu évoques Arendt, à juste titre...N'oublie pas Kristeva dans cet exil!
" Je peux promettre de ne jamais cesser d’être une Allemande au sens où vous l’entendez ; c’est-à-dire que je ne renierai rien, ni votre Allemagne et celle de Heinrich, ni la tradition dans laquelle j’ai grandi, la langue dans laquelle je pense et dans laquelle ont été écrits les poèmes que je préfère. Je ne me raconterai pas d’histoires, je ne m’inventerai ni un passé juif ni un passé américain." Hannah Arendt
Quant aux auteurs arabes, quel mérite?! Quand tu dis "arabe", j'entends "Maghreb"...anciennes colonies francaises où l'on parle encore francais!
Invité- Invité
trans-lecture/ écriture
Dans une lettre antérieure à Karl Jaspers du 1er janvier 1933, Hannah Arendt précisait ce qu’était pour elle l’Allemagne : « La langue maternelle, la philosophie et la poésie. » Dans cette lettre à Karl Jaspers, du 19 février 1953, Hannah Arendt évoque par son prénom Heinrich Heine , poète allemand d’origine juive qui s’est converti au protestantisme en 1825. Sa conversion fut pour lui, note-t-il avec quelque ironie, « un billet d’entrée donnant accès à la civilisation européenne ». Il fait partie des juifs d’exception du XIXe siècle qu’Hannah Arendt évoque dans La tradition cachée, qui « auraient pu être allemands par la grâce de Goethe »
Plus tard, à propos de Walter Benjamin, elle revient sur l’importance de la langue : « Dans la langue, ce qui est passé a son assise indéracinable et c’est sur la langue que viennent finalement échouer toutes les tentatives pour se débarrasser du passé. » Ce qui amène Martine Leibovici à écrire « Arendt a véritablement emporté la langue allemande avec elle, de sorte que c’est l’exil lui-même qui est à la source […] de ce sauvetage.
Plus tard, à propos de Walter Benjamin, elle revient sur l’importance de la langue : « Dans la langue, ce qui est passé a son assise indéracinable et c’est sur la langue que viennent finalement échouer toutes les tentatives pour se débarrasser du passé. » Ce qui amène Martine Leibovici à écrire « Arendt a véritablement emporté la langue allemande avec elle, de sorte que c’est l’exil lui-même qui est à la source […] de ce sauvetage.
Invité- Invité
Arendt
Aucune situation ne dispose davantage à poser la question de la langue maternelle que celle de l’exil. C'est la dépossession d’une langue première dont on est privé par les aléas de la vie et dont on a la mémoire ou la nostalgie, qui donne toute sa force dramatique à cette question. Hannah Arendt s’est exilée en France de 1933 à 1940 avant d’aller aux Etats-Unis. Au moment où elle quitte l’Allemagne, que représente pour elle ce pays natal où elle a vécu jusqu’à l’âge de vingt-sept ans — «La langue maternelle, la philosophie et la poésie», écrit-elle à Karl Jaspers en 1933 . Pendant tout le reste de sa vie qu’elle passe en exil, elle ne cessera de manifester son attachement à la langue de sa jeunesse. Même aux temps les plus amers, au temps de la shoah, lui demande-t-on au cours d’une émouvante interview dans les années soixante — «Toujours. Je me disais: que faire? Ce n’est tout de même pas la langue allemande qui est devenue folle!»
Notre langue maternelle est la langue de notre mémoire. Une première attitude découle de cette constatation, celle de la fidélité à cette langue en dépit de toutes les aliénations....
Je vis dans "la mémoire" de cette langue maternelle..."langue étrangère et philosophie"...ma réponse en Echo à Arendt...
Notre langue maternelle est la langue de notre mémoire. Une première attitude découle de cette constatation, celle de la fidélité à cette langue en dépit de toutes les aliénations....
Je vis dans "la mémoire" de cette langue maternelle..."langue étrangère et philosophie"...ma réponse en Echo à Arendt...
Invité- Invité
Arendt
Aux sources de notre fidélité il y a les textes de la langue première que nous avons appris par cœur. Ce dont témoigne Hannah Arendt: «J’ai toujours refusé, consciemment, de perdre ma langue maternelle, déclare-t-elle en 1963 (elle a 57 ans et vit aux Etats-Unis). J’ai toujours maintenu une certaine distance tant vis-à-vis du français que j’écrivais très bien autrefois, que vis-à-vis de l’anglais que j’écris maintenant.» Et elle en donne l’explication suivante:
J’écris en anglais, mais je garde toujours une certaine distance. ( exactement, la distance que je garde en allemand!) Il y a une différence incroyable entre la langue maternelle et toute autre langue. Pour moi, cet écart se résume de façon très simple: je connais par cœur en allemand un bon nombre de poèmes allemands; ils sont présents d’une certaine manière au plus profond de ma mémoire, derrière ma tête, in the back of my mind, et il est bien sûr impossible de pouvoir jamais reproduire cela! En allemand, je me permets des choses que je ne me serais jamais permises en anglais.
C’est dans l’impossibilité de pratiquer sa langue maternelle que l’on prend conscience de la présence sensorielle de la langue au fond de la vie mentale et du lien qui existe entre parler et penser. S’exprimer dans sa langue maternelle, c’est avoir la certitude de ne pas trahir sa pensée. «Dans une autre langue les mots me manquent», dit-on parfois, ou: «Je le dis mieux dans cette langue-ci plutôt que dans celle-là»...pourtant, j'ai "l'impression" de mieux m'exprimer en allemand...
J’écris en anglais, mais je garde toujours une certaine distance. ( exactement, la distance que je garde en allemand!) Il y a une différence incroyable entre la langue maternelle et toute autre langue. Pour moi, cet écart se résume de façon très simple: je connais par cœur en allemand un bon nombre de poèmes allemands; ils sont présents d’une certaine manière au plus profond de ma mémoire, derrière ma tête, in the back of my mind, et il est bien sûr impossible de pouvoir jamais reproduire cela! En allemand, je me permets des choses que je ne me serais jamais permises en anglais.
C’est dans l’impossibilité de pratiquer sa langue maternelle que l’on prend conscience de la présence sensorielle de la langue au fond de la vie mentale et du lien qui existe entre parler et penser. S’exprimer dans sa langue maternelle, c’est avoir la certitude de ne pas trahir sa pensée. «Dans une autre langue les mots me manquent», dit-on parfois, ou: «Je le dis mieux dans cette langue-ci plutôt que dans celle-là»...pourtant, j'ai "l'impression" de mieux m'exprimer en allemand...
Invité- Invité
Arendt-Kristeva: la langue maternelle
Un témoignage émouvant de Julia Kristeva confirme l’existence et la violence de cette dialectique entre l’aisance et la distance dans notre rapport intime aux langues que nous parlons. «Je n’ai pas perdu ma langue maternelle.» Ce sont les premiers mots d’une confession intitulée Bulgarie, ma souffrance qui la conduit pourtant à s’écrier : «Corps et âme, je vis en français.»Malgré des bouffées de mémoire dans lesquelles le roumain subvertit de l’intérieur le français, Julia Kristeva a littéralement changé de langue maternelle. Une partie de moi s’est éteinte, dit-elle, «au fur et à mesure que j’apprenais le français chez les Dominicaines, puis à l’Alliance, puis à l’université; et qu’enfin l’exil a cadavérisé ce vieux corps, pour lui en substituer un autre… le français.» Mais ce n’est pas tout à fait vrai, ce n’est pas définitif. Le drame qui se joue entre les deux langues tourne très précisément autour de l’aisance et de la distance de la personne qui parle par rapport à la langue qu’elle parle dans une situation donnée. Lorsqu’elle doit s’exprimer en russe ou en anglais et que les mots lui manquent, c’est au bulgare que Julia Kristeva se cramponne: «Ce n’est donc pas le français qui me vient à l’aide quand je suis en panne dans un code artificiel, pas plus que si, fatiguée, je sèche sur mes additions et multiplications, mais bien le bulgare, pour me signifier que je n’ai pas perdu les commencements.» Ainsi donc la même personne vit corps et âme dans deux langues étrangères l’une à l’autre, à différents moments du temps et dans des situations différentes.
Ce que je retiens de ce témoignage, c’est le jeu des deux critères permettant de caractériser la langue maternelle: la langue dans laquelle je vibre de toutes les fibres de ma sensibilité, et la langue à laquelle je me cramponne et qui me sauve lorsque les mots me manquent...
Je ressens le même sentiment que Kristeva...avoir littéralement changé de langue maternelle....et les conséquences!
Ce que je retiens de ce témoignage, c’est le jeu des deux critères permettant de caractériser la langue maternelle: la langue dans laquelle je vibre de toutes les fibres de ma sensibilité, et la langue à laquelle je me cramponne et qui me sauve lorsque les mots me manquent...
Je ressens le même sentiment que Kristeva...avoir littéralement changé de langue maternelle....et les conséquences!
Invité- Invité
Cioran - Maghreb
Enigma a écrit:Nabokov, Beckett oui mais encore une fois n'oublie pas la beauté en triade du corps platonicien!...Et qu'en est-il de Cioran?
" Je peux promettre de ne jamais cesser d’être une Allemande au sens où vous l’entendez ; c’est-à-dire que je ne renierai rien, ni votre Allemagne et celle de Heinrich, ni la tradition dans laquelle j’ai grandi, la langue dans laquelle je pense et dans laquelle ont été écrits les poèmes que je préfère. Je ne me raconterai pas d’histoires, je ne m’inventerai ni un passé juif ni un passé américain." Hannah Arendt
Quant aux auteurs arabes, quel mérite?! Quand tu dis "arabe", j'entends "Maghreb"...anciennes colonies francaises où l'on parle encore francais!
Comment oublier Cioran? Impossible. Un philosophe-poète, cet homme. Quelle beauté de la langue non maternelle, c'en est stupéfiant. J'ouvrirai un topic sur lui ou chercherai certains de ses aphorismes à retranscrire ici.
Je ne peux pas comprendre ce que c'est que d'habiter ailleurs que dans sa langue, je n'en ai pas fait l'expérience, n'en ferai jamais l'expérience non plus.
Je parlais en effet des auteurs du Maghreb... Parler français, peut-être, mais savoir le manier, l'écrire, sachant que la langue certainement parlée au quotidien est l'arabe me semble se rapprocher de cette trans-écriture. De plus, écrire dans la langue de l'ancien colon pose le problème de l'acceptation, de l'assimilation morale de cette langue... Peut-être un autre sujet.
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Re: trans-lecture/ écriture: écrire dans une langue étrangère. Makine-Tawada
Enigma a écrit: Même aux temps les plus amers, au temps de la shoah, lui demande-t-on au cours d’une émouvante interview dans les années soixante — «Toujours. Je me disais: que faire? Ce n’est tout de même pas la langue allemande qui est devenue folle!»
Notre langue maternelle est la langue de notre mémoire. Une première attitude découle de cette constatation, celle de la fidélité à cette langue en dépit de toutes les aliénations....
Cette langue est comme un gène, on ne peut pas se rebeller, même avec tous les efforts du monde.
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Re: trans-lecture/ écriture: écrire dans une langue étrangère. Makine-Tawada
Et puis pourquoi le faire? Dans notre cas, le français donne accès à tellement de "belles choses" ...
Invité- Invité
Pourquoi?
Verbatim, je parle d'écrivains écrivant dans une langue étrangère!...Cette langue étrangère peut aussi être l'unique langue qui mérite ce nom, à tes yeux: le FRANCAIS!!!
Et pourquoi vouloir ouvrir son horizon?! Nous n'avons, comme je vois aucun atome crochu!
"Celui qui ne connaît pas les langues étrangères ne connaît rien de sa propre langue." Goethe
Et pourquoi vouloir ouvrir son horizon?! Nous n'avons, comme je vois aucun atome crochu!
"Celui qui ne connaît pas les langues étrangères ne connaît rien de sa propre langue." Goethe
Invité- Invité
Re: trans-lecture/ écriture: écrire dans une langue étrangère. Makine-Tawada
J'avais compris...
Je disais juste qu'il y a beaucoup de très grands écrivains qui sont français, et que nous avons de la chance de pouvoir y avoir accès via notre langue maternelle, car la résonance est forcément plus immédiate et intense...
Je crois que l'on ne peut vraiment bien écrire que dans une seule langue, peu importante qu'elle soit maternelle ou pas, c'est une question de maîtrise.
Et c'est justement pour cela que je lis les auteurs anglais dans leur langue, pour ne rien perdre.
Car le traducteur, dans le cas d'un livre écrit dans une langue "étrangère", est au moins aussi important que l'écrivain : et il vaut mieux qu'il soit bon...
Lost in translation?
Quant à nos atomes crochus, je te laisse juge...
Je disais juste qu'il y a beaucoup de très grands écrivains qui sont français, et que nous avons de la chance de pouvoir y avoir accès via notre langue maternelle, car la résonance est forcément plus immédiate et intense...
Je crois que l'on ne peut vraiment bien écrire que dans une seule langue, peu importante qu'elle soit maternelle ou pas, c'est une question de maîtrise.
Et c'est justement pour cela que je lis les auteurs anglais dans leur langue, pour ne rien perdre.
Car le traducteur, dans le cas d'un livre écrit dans une langue "étrangère", est au moins aussi important que l'écrivain : et il vaut mieux qu'il soit bon...
Lost in translation?
Quant à nos atomes crochus, je te laisse juge...
Invité- Invité
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