Le Mexique
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Le Mexique
Ce pays est à l'honneur du Salon du Livre de Paris 2009, et le Magazine littéraire lui consacre un numéro :
Deux grands monuments de la littérature mexicaine sont Carlos Fuentes et Octavio Paz. Ce dernier est mort en 1998, obtenant le Nobel en 1990 ; le premier était un de ses grands rivaux qui n'a même pas voulu assister à ses obsèques à cause d'un article injurieux que Paz avait laissé passer dans un journal dont il était le directeur adjoint.
Deux grands monuments de la littérature mexicaine sont Carlos Fuentes et Octavio Paz. Ce dernier est mort en 1998, obtenant le Nobel en 1990 ; le premier était un de ses grands rivaux qui n'a même pas voulu assister à ses obsèques à cause d'un article injurieux que Paz avait laissé passer dans un journal dont il était le directeur adjoint.
Kashima- Faux-monnayeur
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Salon du livre Mexique - 14 mars
Le Mexique, comme le titrait un journal : "L'empire des morts et des songes".
Cent ans de littérature et, à son actif, un prix Nobel, Octavio Paz.
J'arrive au Salon samedi 14 mars, je me dirige un peu au hasard et je tombe sur les Editions de l'Atelier du Gué qui publie des auteurs mexicains. J'achète Amours d'Occasion d'Enrique Serna et Leçons pour un lièvre mort de Mario Bellatin, livres que j'avais repérés avant de venir.
Une femme à côté de moi me parle et me conseille : c'est Marie-Ange Brillaud, professeur de prépa à Montpellier et traductrice d'auteurs mexicains. Elle me dit que j'ai fait un très bon choix avec Amours d'occasion, que je vais me régaler. Elle me propose de m'accompagner à l'espace Mexique car il y a un livre qu'il faut absolument lire si j'aime les choses bizarres (comment sait-elle? lol) : Pétales ou autres histoires embarrassantes, de Guadalupe Nettel. En lisant la quatrième de couverture de ce livre publié chez Actes sud, je n'hésite pas une seconde, d'autant plus que le dessin de la couverture me fait penser à l'univers de Benjamin Lacombe :
Je suis tentée par un autre livre qu'elle m'a conseillé, pas pour moi directement. Elle parle si bien de ce texte qu'elle a traduit :
Nous parlons un moment, échangeons nos coordonnées, et je parcours ce grand rayon Mexique. J'achète La Région la plus limpide de Carlos Fuentes, livre qui, selon elle, est celui qui a fait éclore la littérature mexicaine en France.
Je ne trouve pas les livres d'Elena Poniatowska que j'aurais voulu lire (celui sur Diego Rivera).
Je ne ferai finalement signer que le livre de Mario Bellatin les autres auteurs ne sont pas là ce jour-ci, sauf Enrique Serna dont je suis un morceau de la conférence - il parle très bien français. Il explique quelles sont ses influences littéraires : Villiers de l'Isle-Adam, entre autres.
Enrique Serna :
Dans la file d'attente qui me mène à Bellatin, je parle à une demoiselle devant moi : elle a fait une thèse sur cet auteur qu'elle adore. Elle me conseille Salon de beauté.
Mario Bellatin ressemble à un mafioso, avec son crochet en métal à la place de la main droite et son crâne rasé...
Je n'ai plus qu'à lire tout ça...
Voici, en plus, une interview de Marie-Ange Brillaud sur la littérature mexicaine (lemague.net) :
La Littérature au Mexique vue par Marie-Ange Brillaud
Coïncidence de l’actualité, au moment même où le président de la République française est en visite au Mexique, les plus grandes plumes du pays font leurs valises pour passer quelques jours à Paris. En effet, le Salon du Livre ouvre ses portes vendredi prochain pour réserver une place d’honneur à la littérature mexicaine. Des écrivains, parmi les plus lus en Amérique latine, seront présents pour rencontrer un public curieux, mais francophone… Ce n’est pas vraiment une difficulté, puisque des éditeurs se sont fait un devoir de défendre leurs œuvres depuis quelques années sur le marché français de l’édition. C’est pourquoi Le Mague a demandé à Marie-Ange Brillaud, traductrice des meilleurs auteurs mexicains, de nous dresser à grands traits un tableau de cette littérature exotique.
Le MAGue : Quelle sorte de rapport entretenez-vous avec les auteurs mexicains en littérature ?
Marie-Ange Brillaud : Premièrement je les lis beaucoup. J’ai traduit en particulier les livres de 3 auteurs mexicains invités au Salon du Livre de Paris : Celorio, Monsiváis et Serna, ainsi que des nouvelles pour L’Atelier du Gué et pour la revue Siècle 21. Je participe aussi au lancement d’une revue mexicaine, Número 0, qui montre son 2ème numéro à cette occasion. Le 1er numéro a paru lors de la semaine mexicaine de Barcelone en 2007. Elle est dirigée par Guadalupe Nettel et Pablo Raphael de la Madrid et co-financée par les éditions Almadía. Cette revue bilingue devrait être trimestrielle, en principe.
Le MAGue : Avez-vous un coup de cœur pour l’un d’entre eux en particulier ?
Marie-Ange Brillaud : Enrique Serna vient présenter son dernier roman publié chez Métailié : Quand je serai Roi met en scène des enfants pré-adolescents, dont l’un est pauvre, et l’autre, très riche. Ils se détruisent autant l’un que l’autre… L’enfant pauvre sniffe de la colle et l’enfant riche est odieux, il méprise les indigènes, les employés de maison, joue avec les armes à feu de son père. Enrique Serna avait publié auparavant un roman noir chez Phébus, La Peur des Bêtes, et un recueil de nouvelles que j’ai traduites, Amours d’Occasion, à L’Atelier du Gué. Il viendra le 19 mars à Montpellier après le Salon du Livre, où nous allons l’accueillir à l’auditorium du musée Fabre. Il aime beaucoup la ville et nous sommes heureux de le recevoir. C’est un de mes auteurs préférés parce qu’il est très drôle et j’apprécie son humour noir et grinçant. Il doit venir avec Jean-Claude Carrière, qui va présenter son Dictionnaire amoureux du Mexique.
Le MAGue : Désirez-vous attirer notre attention sur d’autres auteurs mexicains ?
Marie-Ange Brillaud : Bien sûr, on attend peut être Carlos Monsiváis… L’ouvrage que j’ai traduit, Nouveau Catéchisme pour Indiens insoumis, est publié chez L’Atelier du Gué. C’est sa seule œuvre de fiction, mélange de paraboles, d’hagiographie, faux catéchisme qui fait référence à l’époque coloniale, tout en intégrant des éléments très actuels. La satire et l’humour sont constamment présents et le perdant n’est pas celui qu’on croit. Carlos Monsiváis est très connu au Mexique pour ses essais et articles de journaux… C’est vraiment le grand chroniqueur du Mexique actuellement. Parmi les jeunes auteures, une jeune femme de 35 ans doit retenir toute notre attention. Guadalupe Nettel, qui vient de remporter le Prix Antonin Arthaud… Ce dernier a vécu au Mexique chez les Indiens Tarahumaras, il a raconté ses expériences avec les chamanes entre autre…
Le MAGue : Voulez-vous nous parler des rapports qu’entretiennent les cultures française et mexicaine ?
Marie-Ange Brillaud : Les Mexicains ont toujours beaucoup aimé la France, qui représente, pour eux, la Culture. Enrique Serna, par exemple, a appris le français pour lire les classiques. Il est ainsi capable de lire Victor Hugo dans le texte original. Les Mexicains ont une capacité d’ouverture d’esprit qui paraît nous manquer par moments. En France, au contraire, il y a beaucoup d’uniformisation… Il y a aussi toute une colonie française au Mexique, qui a émigré à partir du XIXème siècle depuis la ville de Barcelonnette, une librairie française à Mexico. Bien sûr, il y a encore de l’analphabétisme et de la pauvreté et tout le monde ne lit pas. Si l’on demande à un jeune français ce qu’il connaît du Mexique, une fois sur deux il vous répondra : Cancún ou le chili con carne, qui n’est absolument pas un plat mexicain. Certes, ils mangent des haricots noirs, mais pas de cette façon. Ce que nous en connaissons a été accommodé à la mode américaine, car les États-Unis ont annexé la moitié du territoire mexicain en 1848. Les Mexicains sont par exemple plus friands de poulet, de poisson, de légumes, et pas tellement de viande de bœuf.
Le MAGue : N’est-ce pas l’occasion de mieux connaître la culture mexicaine en France ?
Marie-Ange Brillaud : En effet, au Mexique, il y a vraiment de très bons écrivains. Gonzalo Celorio, tout en finesses par exemple, Mempo Giardinelli (Luna caliente), Guillermo Fadanelli (Un Scorpion en Février, L’Autre Visage de Rock Hudson, un polar chez Christian Bourgois), Eduardo Antonio Parra et beaucoup, beaucoup d’autres. Une femme que j’aime beaucoup, c’est Vilma Fuentes : elle a écrit plusieurs livres publiés chez Acte Sud et La Différence. L’Autobus de Mexico, Des Châteaux en Enfer, par exemple. Et elle est très drôle. J’ai traduit aussi une nouvelle d’Anna Garcia Bergua, Fiancée en Sucre, que j’ai bien aimée. Cette courte nouvelle fait entrer les croyances précolombiennes dans le quotidien de la modernité. Les Mexicains ont un autre rapport vis-à-vis de la mort, plus naturel et joyeux que nous. Le jour des morts, ils se rendent au cimetière pour faire la fête, parce qu’ils pensent que les âmes des morts reviennent les visiter. Parmi les thèmes abordés par la jeune génération en particulier, on peut citer la ville, la mégalopole, la drogue, le crime organisé, la corruption. C’est un peu la réalité mexicaine, et, bien entendu, cela n’est pas réjouissant. Mais les écrivains savent traiter ces sujets d’une manière distanciée par l’humour, la satire, le grotesque qui nous donnent vraiment envie de les lire…
Kashima- Faux-monnayeur
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Le pavillon du Mexique
Le pavillon du Mexique :
Kashima- Faux-monnayeur
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Carlos Fuentes
A l'occasion de ce salon du livre 2009, France culture a programmé plusieurs émissions en rapport avec la littérature mexicaine.
J'ai pu écouter une heure avec Carlos Fuentes qui parle un très bon français.
Son dernier livre, Le Bonheur des Familles, porte un titre trompeur. Comme il le dit lui même, écrire sur le bonheur est "simplet". Rares sont les grands héros qui sont des gentils - parmi eux, il cite Don Quichotte, dont il relit d'ailleurs les aventures une fois par an.
Dans l'entretien, il dit que l'un de ses derniers livres a pour narrateur une tête coupée sur une plage, et que la réalité a rattrapé la fiction car les têtes coupées se multiplient au Mexique ces temps-ci.
L'animatrice l'interroge sur sa brouille avec Octavio Paz. Il répond qu'il ne se l'est jamais expliquée après 18 ans d'amitié... et, pour couper court, il la renvoie à Octavio Paz, qu'on ne peut malheureusement plus interroger.
Carlos Fuentes aime Balzac ; il aime aussi Kafka, mais ce dernier le terrifie parce qu'il a su prédire toutes les grandes tragédies du XXème siècle, comme les camps.
Il conçoit le roman comme un roman total, un peu comme Balzac. Sa Comédie humaine, c'est L'Age du temps.
Je regrette de ne pas l'avoir rencontré...
Un article de l'AFP :
Carlos Fuentes, chef de file des écrivains mexicains invités au Salon du livre de Paris, a évoqué dimanche le rôle de l'écrivain en Amérique latine, dont "la moitié de la population vit encore dans divers degrés de pauvreté", lors d'une rencontre avec le public.
"Aujourd'hui en Amérique latine, il y a des syndicats, des partis politiques, la presse... toute une série de possibilités civiles de s'exprimer", a-t-il souligné, en français, devant environ 500 personnes massées dans la salle de rencontres du Pavillon du Mexique.
"Les écrivains mexicains qui sont invités à Paris touchent à tous les sujets. Il n'y a plus la détermination que nous avions à faire la critique de l'histoire du Mexique", a expliqué l'auteur de "La plus limpide région", 80 ans, considéré comme l'un des grands écrivains contemporains.
Ecrivain-diplomate, ancien ambassadeur à Paris, Carlos Fuentes, qui vit entre Mexico et Londres, a expliqué son choix d'écrire en espagnol parce qu'"il y avait des choses qui ne pouvaient être dites qu'en espagnol. Il y avait une sorte de terre vierge pour l'écrivain". [chose qu'il a dite aussi dans l'interview : pour lui, l'anglais était déjà défriché alors que l'espagnol a connu une rupture avec l'Inquisition, par exemple.]
"La grande aventure de l'écrivain, c'est de dire : j'écris pour vous, et pour vous, mais aussi pour tous ceux qui ne sont pas encore nés", a-t-il dit.
La littérature mexicaine est à l'honneur au Salon du livre, avec une quarantaine d'écrivains invités, qui attirent un public nombreux depuis le début de la manifestation.
J'ai pu écouter une heure avec Carlos Fuentes qui parle un très bon français.
Son dernier livre, Le Bonheur des Familles, porte un titre trompeur. Comme il le dit lui même, écrire sur le bonheur est "simplet". Rares sont les grands héros qui sont des gentils - parmi eux, il cite Don Quichotte, dont il relit d'ailleurs les aventures une fois par an.
Dans l'entretien, il dit que l'un de ses derniers livres a pour narrateur une tête coupée sur une plage, et que la réalité a rattrapé la fiction car les têtes coupées se multiplient au Mexique ces temps-ci.
L'animatrice l'interroge sur sa brouille avec Octavio Paz. Il répond qu'il ne se l'est jamais expliquée après 18 ans d'amitié... et, pour couper court, il la renvoie à Octavio Paz, qu'on ne peut malheureusement plus interroger.
Carlos Fuentes aime Balzac ; il aime aussi Kafka, mais ce dernier le terrifie parce qu'il a su prédire toutes les grandes tragédies du XXème siècle, comme les camps.
Il conçoit le roman comme un roman total, un peu comme Balzac. Sa Comédie humaine, c'est L'Age du temps.
Je regrette de ne pas l'avoir rencontré...
Un article de l'AFP :
Carlos Fuentes, chef de file des écrivains mexicains invités au Salon du livre de Paris, a évoqué dimanche le rôle de l'écrivain en Amérique latine, dont "la moitié de la population vit encore dans divers degrés de pauvreté", lors d'une rencontre avec le public.
"Aujourd'hui en Amérique latine, il y a des syndicats, des partis politiques, la presse... toute une série de possibilités civiles de s'exprimer", a-t-il souligné, en français, devant environ 500 personnes massées dans la salle de rencontres du Pavillon du Mexique.
"Les écrivains mexicains qui sont invités à Paris touchent à tous les sujets. Il n'y a plus la détermination que nous avions à faire la critique de l'histoire du Mexique", a expliqué l'auteur de "La plus limpide région", 80 ans, considéré comme l'un des grands écrivains contemporains.
Ecrivain-diplomate, ancien ambassadeur à Paris, Carlos Fuentes, qui vit entre Mexico et Londres, a expliqué son choix d'écrire en espagnol parce qu'"il y avait des choses qui ne pouvaient être dites qu'en espagnol. Il y avait une sorte de terre vierge pour l'écrivain". [chose qu'il a dite aussi dans l'interview : pour lui, l'anglais était déjà défriché alors que l'espagnol a connu une rupture avec l'Inquisition, par exemple.]
"La grande aventure de l'écrivain, c'est de dire : j'écris pour vous, et pour vous, mais aussi pour tous ceux qui ne sont pas encore nés", a-t-il dit.
La littérature mexicaine est à l'honneur au Salon du livre, avec une quarantaine d'écrivains invités, qui attirent un public nombreux depuis le début de la manifestation.
Kashima- Faux-monnayeur
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Pétales
Pétales, de Guadalupe Nettel, se compose de cinq autres "histoires embarrassantes".
Les six nouvelles se passent dans des pays différents, l'Italie, la France, le Mexique...
Dans Ptôse (mot qui désigne la position anormalement basse d'un organe), il est question d'un homme qui photographie des paupières pour un chirurgien avant les opérations. Il tombe amoureux d'une des patientes, par sa paupière plus basse :
"Je fus pris d'une sensation étrange, une sorte de délicieux sentiment d'infériorité, que je ne ressens habituellement que face aux femmes excessivement belles." (20)
Un peu plus bas, cette belle image de la femme sous la pluie est livrée au lecteur :
"Ses cheveux noirs et longs semblaient être un prolongement de la pluie."
Je pouvais n'être que sensible à cette phrase.
Transpersienne raconte une femme voyeuse observant l'homme d'en face qui reçoit une femme dans son salon mais se masturbe dans la cuisine.
Le narrateur de Bonsaï est marié depuis des années à une femme qu'il aime. Il a pour habitude d'aller au jardin botanique les dimanches. Il y rencontre un vieil homme - est-il réel? Ou est-ce l'incarnation de sa folie? Lui qui n'aimait pas les plantes se met à les observer et à se rapprocher de sa vraie nature de cactus...
Dans L'Autre côté du Quai, la jeune narratrice cherche la Véritable Solitude.
Les pétales de la cinquième nouvelle, qui donne son titre au recueil, sont celles que sème la Fleur quand elle se jette sur la route d'un pont : "des pétales sur la chaussée, que les voitures n'osèrent pas fouler" (101) Le personnage narrateur, amoureux d'elle, l'a devinée en reniflant la cuvette des toilettes. C'est ainsi qu'il découvre les femmes.
Enfin, la dernière nouvelle, sous forme de journal intime, Bézoard, donne la parole à une femme qui a la manie de s'arracher les cheveux, la trichotillomanie. Elle rencontre Victor, obsessionnel lui aussi.
Cette dernière nouvelle m'a paru la plus poétique. Placée sous l'égide d'Ambroise Paré qui nous donne en exergue la définition de cette pierre miraculeuse qu'est le bézoard, elle nous fait entrer dans la folie de la narratrice et dans ses tentatives de dissimulation.
"Le bézoard était le remède contre tous les venins mais aussi la pierre du calme absolu." (115)
C'est vers ce calme que tendent les personnages, et leur névrose n'est qu'un échantillon de cette pierre mythique, "la recette du calme absolu".
(Je me souviens qu'on peut voir un bézoard au Musée Dupuytren. Le bézoard (du persan bazahr, « qui préserve du poison ») est un corps étranger que l'on trouve le plus souvent dans l'estomac des humains ou des animaux ruminants.)
Ces nouvelles sur la folie ordinaire et quotidienne sont un bon point de départ pour entrer dans la littérature mexicaine.
Les six nouvelles se passent dans des pays différents, l'Italie, la France, le Mexique...
Dans Ptôse (mot qui désigne la position anormalement basse d'un organe), il est question d'un homme qui photographie des paupières pour un chirurgien avant les opérations. Il tombe amoureux d'une des patientes, par sa paupière plus basse :
"Je fus pris d'une sensation étrange, une sorte de délicieux sentiment d'infériorité, que je ne ressens habituellement que face aux femmes excessivement belles." (20)
Un peu plus bas, cette belle image de la femme sous la pluie est livrée au lecteur :
"Ses cheveux noirs et longs semblaient être un prolongement de la pluie."
Je pouvais n'être que sensible à cette phrase.
Transpersienne raconte une femme voyeuse observant l'homme d'en face qui reçoit une femme dans son salon mais se masturbe dans la cuisine.
Le narrateur de Bonsaï est marié depuis des années à une femme qu'il aime. Il a pour habitude d'aller au jardin botanique les dimanches. Il y rencontre un vieil homme - est-il réel? Ou est-ce l'incarnation de sa folie? Lui qui n'aimait pas les plantes se met à les observer et à se rapprocher de sa vraie nature de cactus...
Dans L'Autre côté du Quai, la jeune narratrice cherche la Véritable Solitude.
Les pétales de la cinquième nouvelle, qui donne son titre au recueil, sont celles que sème la Fleur quand elle se jette sur la route d'un pont : "des pétales sur la chaussée, que les voitures n'osèrent pas fouler" (101) Le personnage narrateur, amoureux d'elle, l'a devinée en reniflant la cuvette des toilettes. C'est ainsi qu'il découvre les femmes.
Enfin, la dernière nouvelle, sous forme de journal intime, Bézoard, donne la parole à une femme qui a la manie de s'arracher les cheveux, la trichotillomanie. Elle rencontre Victor, obsessionnel lui aussi.
Cette dernière nouvelle m'a paru la plus poétique. Placée sous l'égide d'Ambroise Paré qui nous donne en exergue la définition de cette pierre miraculeuse qu'est le bézoard, elle nous fait entrer dans la folie de la narratrice et dans ses tentatives de dissimulation.
"Le bézoard était le remède contre tous les venins mais aussi la pierre du calme absolu." (115)
C'est vers ce calme que tendent les personnages, et leur névrose n'est qu'un échantillon de cette pierre mythique, "la recette du calme absolu".
(Je me souviens qu'on peut voir un bézoard au Musée Dupuytren. Le bézoard (du persan bazahr, « qui préserve du poison ») est un corps étranger que l'on trouve le plus souvent dans l'estomac des humains ou des animaux ruminants.)
Ces nouvelles sur la folie ordinaire et quotidienne sont un bon point de départ pour entrer dans la littérature mexicaine.
Dernière édition par Kashima le Ven 17 Aoû 2012 - 9:45, édité 1 fois
Kashima- Faux-monnayeur
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Cinéma mexicain et littérature française
Sur les adaptations par le cinéma mexicain des livres de la littérature française, voir : https://edencash.forumactif.org/sur-les-ecrans-f6/cinema-mexicain-et-litterature-francaise-t331.htm#4506
Kashima- Faux-monnayeur
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La plus limpide région
Kashima a écrit: J'achète La Région la plus limpide de Carlos Fuentes, livre qui, selon elle, est celui qui a fait éclore la littérature mexicaine en France.
Voici donc, au fur et à mesure, mes notes et impressions de lecture.
La lecture est ardue. Carlos Fuentes a pris la peine de dresser la liste des personnages au début du livre. Grâce à elle, on s'y retrouve, car le livre s'ouvre sur une soirée chez Bobo, mais par elle, on est freiné, voulant toujours aller vérifier qui est qui...
Puis chaque personnage est présenté, raconte son histoire, comme si c'était un immense puzzle en train de se construire avec nous.
Surtout, il ne faut pas se décourager par le côté difficile de la construction. C'est tellement bien écrit qu'on pourrait même lire sans comprendre...
Et rien que pour cette phrase, on doit poursuivre :
"L'amour est une réalité dans le domaine de l'imagination". (p 52)
Je poursuis donc, et je tombe encore sur une phrase parlant de l'amour, à croire qu'il n'y aurait que ce sujet qui me plaît!
"L'amour par définition exclut la sincérité." (p 158)
Bref... Ce n'est pas un roman d'amour. C'est un roman sur le Mexique, sur la fresque mexicaine des habitants.
Gervasio Pola, le révolutionnaire qui s'opposait à Porfirio Diaz, est fusillé. Son fils, Rodrigo, personnage auquel, pour l'instant, je m'attache le plus, vit seul avec sa mère. Il se souvient de son enfance, la raconte au gardien Ixca.
Porfirio Diaz
Pendant son adolescence, il se met à écrire pour donner un sens à sa vie, pendant que sa mère "(séquestre) les dernières heures de faible lumière dans son tricot" : n'est-ce pas beau pour dire "tricoter"? (p 164)
Il fait partie d'un groupe littéraire - j'ai eu des réminiscences d'ambiance Faux-Monnayeurs (?)
"Art, littérature, nos nouveaux mots magiques!" (p 178)
Un passage est très drôle : c'est celui de l'écroulement de la littérature et du Dieu Écrivain, quand le groupe décide de rencontrer Flavio Milos, un auteur (inventé ou que Fuentes a masqué) très connu de l'époque. L'écrivain sacré entre dans la maison où ils l'accueillent en criant :
"Vingt dieux, que les femmes ont de jolis culs, ici!". Il se roule parterre, se gorge de vin : aucune discussion littéraire n'est envisageable!
Quand celle qui se saigne aux quatre veines apprendra qu'il a passé toute une année à écrire, elle se mettra dans une immense colère, et voici ce qu'elle dira à son jeune fils, d'un réalisme briseur d'espoir :
"Est-ce que j'ai eu un destin, moi? Quelqu'un a-t-il eu un destin? (...) Tu n'as aucun destin, sache-le bien. Tu as des responsabilités", avec une suite de paroles dont le style se rapproche parfois d'Albert Cohen, dans la répétition et la saccade. (182-183)
Le Mexique est toujours le héros du livre, on ne s'en éloigne jamais. Dans la bouche d'Ixca, il est "une chose figée pour toujours, incapable d'évoluer. Une roche-mère inébranlable qui tolère tout. Tous les limons peuvent se développer sur cette roche. Mais la roche en soi ne change pas, elle est la même, pour toujours." (p 167)
Et c'est le même constat désabusé dans la bouche de Natasha, une ancienne chanteuse de cabaret. Si elle reste vivre dans ce pays, c'est que "sous cette lèpre américanisée et de quatre sous il y a une chair vivante." (p 212)
Kashima- Faux-monnayeur
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Date d'inscription : 29/09/2008
La plus limpide région, suite et fin
A travers la vie de nombreux Mexicains, du banquier qui fait faillite à la prostituée des bas-fonds, en passant par le gardien qui reçoit les confidences de tous et tentent de se procurer leur histoire, un pays se dessine.
Rodrigo Pola n'a peut-être pas relaté exactement ce qui s'est passé avec sa mère quand il était adolescent. Dans un passage important du livre, il se révèle (283-290) : "Le problème consiste à savoir comment on imagine son propre visage." Il explique, dans ces pages, comment il est possible d'être ce qu'on peut vouloir paraître la première fois, puis il développe l'idée qu'on ne peut jamais prouver qu'on est écrivain alors qu'on peu donner la preuve tangible, par une œuvre concrète, qu'on est "ingénieur civil", le contenu du livre n'étant pas palpable.
On comprend mieux ce personnage à partir de ce moment-là, et on voit qu'on la pris à tort pour le "pauvre diable" qu'il a voulu paraître...
Rodrigo, amoureux de la seule femme qu’il n’aura jamais, Norma, la parvenue, celle qui préfère se marier avec un homme riche, Federico Robles :
"Il s'aperçut qu'il avait toujours éprouvé, avec Norma, le besoin de préciser son amour, de le remplir de mots des autres, de le fixer, d'insister sur le fait abstrait de son amour dans chaque conversation, dans chaque baiser (...) ; et qu'elle, par contre, n'avait désiré que le phénomène pur et simple et net d'être aimée, sans ces mot, sans cette insistance verbale..." (298)
Et puis un jour, il la revoit, bien des années après. Elle le regarde de haut, le croit encore pauvre. Or, Rodrigo est venu se venger d'elle. Il va la laisser l'humilier, va lui remettre en mémoire l'amour qu'il avait pour elle :
"Il n'est rien de plus réel que l'amour, parce qu'il exige la présence réelle de l'être aimé. Seule la haine peut se forger dans l'irréalité, mais pas l'amour, Norma." (420)
Et enfin, au moment de se quitter, lorsqu'elle lui propose de le déposer quelque part, ce pauvre homme, il lui fait comprendre par quelques mots que la "Jaguar décapotable, à banquette de cuir et ornement nickelés", est la sienne... (421)
"La grimace de Norma fut un baume qui le guérit de toutes les nostalgies, de toutes les maladies de l'âme".
Sur son destin, avant qu'il ne le réalise, Ixca dit à Rodrigo :
"Nous devons nous laisser tomber jusqu'au fond de notre destin, quel qu'il soit." (306)
A travers les dialogues, les discours des personnages, on comprend ce qu'est le Mexique. Le jeune écrivain Manuel Zamacona ose parler crûment à Federico Robles, le banquier qui s'est enrichi avec la Révolution. Il lui explique que le problème de leur pays, c'est de ne pas assimiler le passé, de souffrir sans commencement ni fin (318-330). De plus, il dit :
"Nous avons toujours voulu nous précipiter vers des modèles qui ne nous appartiennent pas, nous habiller de costumes qui ne nous vont pas bien, nous travestir pour dissimuler la vérité. (...) Vous ne voyez pas que le Mexique se détruit en voulant se mettre sur le pied de l'Europe et des Etats-Unis?" (323)
C'est un livre très bien construit, écrit parfaitement, et je comprends pourquoi on en fait un livre de référence de la littérature mexicaine.
Rodrigo Pola n'a peut-être pas relaté exactement ce qui s'est passé avec sa mère quand il était adolescent. Dans un passage important du livre, il se révèle (283-290) : "Le problème consiste à savoir comment on imagine son propre visage." Il explique, dans ces pages, comment il est possible d'être ce qu'on peut vouloir paraître la première fois, puis il développe l'idée qu'on ne peut jamais prouver qu'on est écrivain alors qu'on peu donner la preuve tangible, par une œuvre concrète, qu'on est "ingénieur civil", le contenu du livre n'étant pas palpable.
On comprend mieux ce personnage à partir de ce moment-là, et on voit qu'on la pris à tort pour le "pauvre diable" qu'il a voulu paraître...
Rodrigo, amoureux de la seule femme qu’il n’aura jamais, Norma, la parvenue, celle qui préfère se marier avec un homme riche, Federico Robles :
"Il s'aperçut qu'il avait toujours éprouvé, avec Norma, le besoin de préciser son amour, de le remplir de mots des autres, de le fixer, d'insister sur le fait abstrait de son amour dans chaque conversation, dans chaque baiser (...) ; et qu'elle, par contre, n'avait désiré que le phénomène pur et simple et net d'être aimée, sans ces mot, sans cette insistance verbale..." (298)
Et puis un jour, il la revoit, bien des années après. Elle le regarde de haut, le croit encore pauvre. Or, Rodrigo est venu se venger d'elle. Il va la laisser l'humilier, va lui remettre en mémoire l'amour qu'il avait pour elle :
"Il n'est rien de plus réel que l'amour, parce qu'il exige la présence réelle de l'être aimé. Seule la haine peut se forger dans l'irréalité, mais pas l'amour, Norma." (420)
Et enfin, au moment de se quitter, lorsqu'elle lui propose de le déposer quelque part, ce pauvre homme, il lui fait comprendre par quelques mots que la "Jaguar décapotable, à banquette de cuir et ornement nickelés", est la sienne... (421)
"La grimace de Norma fut un baume qui le guérit de toutes les nostalgies, de toutes les maladies de l'âme".
Sur son destin, avant qu'il ne le réalise, Ixca dit à Rodrigo :
"Nous devons nous laisser tomber jusqu'au fond de notre destin, quel qu'il soit." (306)
A travers les dialogues, les discours des personnages, on comprend ce qu'est le Mexique. Le jeune écrivain Manuel Zamacona ose parler crûment à Federico Robles, le banquier qui s'est enrichi avec la Révolution. Il lui explique que le problème de leur pays, c'est de ne pas assimiler le passé, de souffrir sans commencement ni fin (318-330). De plus, il dit :
"Nous avons toujours voulu nous précipiter vers des modèles qui ne nous appartiennent pas, nous habiller de costumes qui ne nous vont pas bien, nous travestir pour dissimuler la vérité. (...) Vous ne voyez pas que le Mexique se détruit en voulant se mettre sur le pied de l'Europe et des Etats-Unis?" (323)
C'est un livre très bien construit, écrit parfaitement, et je comprends pourquoi on en fait un livre de référence de la littérature mexicaine.
Kashima- Faux-monnayeur
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