Nicolas Liau
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Nicolas Liau
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« À trop vouloir courir après les anges » (Nicolas Liau)
Fallacius est un magicien qui joue avec les clous. Agapanthe (« fleur de l’amour »), sa compagne, est plus ambitieuse que lui et veut le voir réussir. Un soir de spectacle, Fallacius remarque dans l’assemblée un homme qui attire son regard : c’est le beau Drakoar, prestidigitateur de renom. Son désir pour ce spectateur s’éveille, au point que son souvenir ne le quitte plus et qu’il l’assouvit sur le corps d’Agapanthe ; ce désir coupable et refoulé s’incarnera bientôt dans les clous qu’il manipule (« Le Clou du spectacle »).
Les amours masculines de L’Ange de la Mélancolie sont toujours malheureuses. Un garçon, « en quête de l’aimé sans visage », sait écouter les cœurs, les cœurs de tous qu’il assemble comme un Cupidon miséreux en mal d’amour du haut de son église. Mais « ce qui est perdu l’est pour toujours » (p.38), et le jeune prodige, qui réunit si bien les cœurs des autres, comprend que l’amour lui est interdit, comme Wulfran, si avide d’aimer, qu’il en vient à s’arracher le cœur (« Fleurs de barbelés ») :
« Pour ne plus se faire mal mutuellement, l’homme et son cœur devaient demeurer loin l’un de l’autre » (p. 117)
La poésie de ces nouvelles qui s’apparentent toujours à des contes cruels — ne cherchez pas l’espoir, il n’y en a pas ; désirer et mourir s’équivalent — se niche dans le style soigné de l’auteur et dans les images qu’il choisit. Nicolas Liau rêve d’être un oiseau, mais il reste cloué au sol, et ses congénères vénérés, présents dans de nombreuses nouvelles, finissent noyés ou sous la griffe d’un chat, animal impitoyable qui incarne le mal dans ce recueil, au point de donner comme nom à deux de ces félins « Enfer » et « Damnation ». Au service de l’homme (celui, par exemple, qui a arraché les yeux de son amant Archibald), ils rôdent et attendent, l’air de rien, de dévorer leur proie, sans trop se salir les pattes.
L’un des textes les plus touchants est « Une Misère », où le narrateur, prisonnier d’une chambre où le viole l’ignoble Tristan, observe une merlette prête à s’envoler avec ses petits. Cette vision lui fait croire à la liberté :
« La chorégraphie improvisée de vos trépignements pleins de joliesse me laisse croire, certains jours, qu’il existe ici, à cet étage du monde où nous sommes, un antidote à mes tourments. » (p. 41)
Or, au moment fatidique de l’envol, un fil ténu retient la merlette par la patte, et le lecteur assiste à sa lente agonie. Le parallèle entre la victime humaine aux griffes de son violeur et le volatile entre celles des chats est signifié par une scène de sexe entrecoupée par l’envol des oisillons. Les personnages du recueil, mus par des désirs interdits ou inassouvis, se retrouvent prisonniers d’eux-mêmes. Le rêve n’existe qu’au milieu d’un charnier : qui saurait le dénicher au pied des falaises ? C’est un trésor inaccessible. Les yeux au ciel, pour trouver l’idéal, on en vient même à perdre son propre regard (« Il regardait le monde par la racine »).
« Corpus delicti » (« le corps de la faute ») est un texte fort du recueil, où la mythologie vient caresser un réel sordide : le chétif Zacharie tombe sous le charme d’un bucentaure, mi-homme mi-taureau, qui le sauve de la mort et avec qui il dompte la sylve. Mais, en désirant l’animal hybride, il le fait fuir et se condamne à arpenter les bois avec un père chasseur, la force brute et détestable qui contamine la nature et qui pourtant l’attire.
Parfois, les êtres les plus abominables sont indispensables à cette nature, comme le Sepson de « Priapées », sorte de faune lubrique qui guette, dans les marécages, un chasseur de sangsues, et qui porte en lui l’énergie vitale d’une nature pourtant hostile. Dans le pays de Nicolas Liau, on condamne ceux qui ne font pas semblant d’être heureux et on les jette au cachot avec leurs rêves. Le réel et l’imaginaire se contaminent et, si ces nouvelles sont qualifiées de fantastique, elles le sont par l’audace des images qui frôlent la mort et la pourriture ; les sentiments déçus et le désespoir, provocateurs de métaphores, en sont le moteur. Le dernier texte, en manière d’hommage à un jeune suicidé, rend le destin des personnages du recueil tristement réaliste. Flatland éditeur republie les textes pleins de mélancolie de cet auteur, dont Claude Seignolle a salué le style et qui nous donne des plaisirs sombres de lecture.
C.M.
L’ange de la mélancolie, Flatland éditeur (2021)
Quand je serai grand, je serai mort, Flatland éditeur (2020)
Fallacius est un magicien qui joue avec les clous. Agapanthe (« fleur de l’amour »), sa compagne, est plus ambitieuse que lui et veut le voir réussir. Un soir de spectacle, Fallacius remarque dans l’assemblée un homme qui attire son regard : c’est le beau Drakoar, prestidigitateur de renom. Son désir pour ce spectateur s’éveille, au point que son souvenir ne le quitte plus et qu’il l’assouvit sur le corps d’Agapanthe ; ce désir coupable et refoulé s’incarnera bientôt dans les clous qu’il manipule (« Le Clou du spectacle »).
Les amours masculines de L’Ange de la Mélancolie sont toujours malheureuses. Un garçon, « en quête de l’aimé sans visage », sait écouter les cœurs, les cœurs de tous qu’il assemble comme un Cupidon miséreux en mal d’amour du haut de son église. Mais « ce qui est perdu l’est pour toujours » (p.38), et le jeune prodige, qui réunit si bien les cœurs des autres, comprend que l’amour lui est interdit, comme Wulfran, si avide d’aimer, qu’il en vient à s’arracher le cœur (« Fleurs de barbelés ») :
« Pour ne plus se faire mal mutuellement, l’homme et son cœur devaient demeurer loin l’un de l’autre » (p. 117)
La poésie de ces nouvelles qui s’apparentent toujours à des contes cruels — ne cherchez pas l’espoir, il n’y en a pas ; désirer et mourir s’équivalent — se niche dans le style soigné de l’auteur et dans les images qu’il choisit. Nicolas Liau rêve d’être un oiseau, mais il reste cloué au sol, et ses congénères vénérés, présents dans de nombreuses nouvelles, finissent noyés ou sous la griffe d’un chat, animal impitoyable qui incarne le mal dans ce recueil, au point de donner comme nom à deux de ces félins « Enfer » et « Damnation ». Au service de l’homme (celui, par exemple, qui a arraché les yeux de son amant Archibald), ils rôdent et attendent, l’air de rien, de dévorer leur proie, sans trop se salir les pattes.
L’un des textes les plus touchants est « Une Misère », où le narrateur, prisonnier d’une chambre où le viole l’ignoble Tristan, observe une merlette prête à s’envoler avec ses petits. Cette vision lui fait croire à la liberté :
« La chorégraphie improvisée de vos trépignements pleins de joliesse me laisse croire, certains jours, qu’il existe ici, à cet étage du monde où nous sommes, un antidote à mes tourments. » (p. 41)
Or, au moment fatidique de l’envol, un fil ténu retient la merlette par la patte, et le lecteur assiste à sa lente agonie. Le parallèle entre la victime humaine aux griffes de son violeur et le volatile entre celles des chats est signifié par une scène de sexe entrecoupée par l’envol des oisillons. Les personnages du recueil, mus par des désirs interdits ou inassouvis, se retrouvent prisonniers d’eux-mêmes. Le rêve n’existe qu’au milieu d’un charnier : qui saurait le dénicher au pied des falaises ? C’est un trésor inaccessible. Les yeux au ciel, pour trouver l’idéal, on en vient même à perdre son propre regard (« Il regardait le monde par la racine »).
« Corpus delicti » (« le corps de la faute ») est un texte fort du recueil, où la mythologie vient caresser un réel sordide : le chétif Zacharie tombe sous le charme d’un bucentaure, mi-homme mi-taureau, qui le sauve de la mort et avec qui il dompte la sylve. Mais, en désirant l’animal hybride, il le fait fuir et se condamne à arpenter les bois avec un père chasseur, la force brute et détestable qui contamine la nature et qui pourtant l’attire.
Parfois, les êtres les plus abominables sont indispensables à cette nature, comme le Sepson de « Priapées », sorte de faune lubrique qui guette, dans les marécages, un chasseur de sangsues, et qui porte en lui l’énergie vitale d’une nature pourtant hostile. Dans le pays de Nicolas Liau, on condamne ceux qui ne font pas semblant d’être heureux et on les jette au cachot avec leurs rêves. Le réel et l’imaginaire se contaminent et, si ces nouvelles sont qualifiées de fantastique, elles le sont par l’audace des images qui frôlent la mort et la pourriture ; les sentiments déçus et le désespoir, provocateurs de métaphores, en sont le moteur. Le dernier texte, en manière d’hommage à un jeune suicidé, rend le destin des personnages du recueil tristement réaliste. Flatland éditeur republie les textes pleins de mélancolie de cet auteur, dont Claude Seignolle a salué le style et qui nous donne des plaisirs sombres de lecture.
C.M.
L’ange de la mélancolie, Flatland éditeur (2021)
Quand je serai grand, je serai mort, Flatland éditeur (2020)
Kashima- Faux-monnayeur
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Date d'inscription : 29/09/2008
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