La nostalgie heureuse
Edencash :: Bibliothekos :: Amélie N.
Page 1 sur 1
La nostalgie heureuse
"Tout ce que l’on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon. A l’âge de cinq ans, quand on m’en arracha, je commençai à me le raconter. Très vite, les lacunes de mon récit me gênèrent. Que pouvais-je dire du pays que j’avais cru connaître et qui, au fil des années, s’éloignait de mon corps et de ma tête."
Extrait du nouveau roman d'Amélie Nothomb qui sortira le 22 août prochain et qui devrait être de vaine autobiographique, comme Stupeur et Tremblements ou Le Sabotage amoureux... Hâte!
Dernière édition par Kashima le Ven 23 Aoû 2013 - 19:48, édité 1 fois
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Figaro, 22 août 2013
Il parait que c'est du très bon!
Je le commence ce soir...
Son nouveau roman, La Nostalgie heureuse, raconte son retour au pays de son enfance. Un voyage qui l'emmène là où elle ne pensait pas aller.
On imaginait qu'Amélie Nothomb était inaltérable, qu'elle resterait éternellement figée dans son personnage de poupée surdouée. Son nouveau livre, La Nostalgie heureuse, un roman autobiographique, prouve le contraire. Amélie Nothomb fait sa crise de la quarantaine, comme tout le monde.
Pour ne pas se laisser happer par l'appel du vide qui la menace, elle a décidé de retourner au pays de ses rêves, où elle a vécu enfant puis de nouveau vers l'âge de 20 ans. «J'ai besoin d'être subjuguée, d'avoir la foi. Le Japon suscite cela chez moi.» Elle raconte son voyage. Peu importe que le récit soit véridique, la narratrice, elle, est bien l'alter ego de la romancière.
Amélie est accompagnée par une équipe de tournage qui réalise un reportage sur les lieux dont deux de ses romans sont inspirés, Stupeur et tremblements et Ni d'Ève ni d'Adam. Tout au long du séjour, Amélie est filmée. Même lorsqu'elle retrouve sa chère nourrice qu'elle n'avait pas revue depuis vingt ans, la caméra tourne. Elle est sans cesse en représentation, attentive à composer son personnage. Du moins le surveille-t-elle.
Toute en retenue
Lorsqu'une émotion est trop forte et donc visible, elle s'arrange pour qu'intervienne un incident grotesque qui coupe court. Amélie Nothomb coupe toujours court. Même ses phrases, elle les casse avant qu'elles ne s'emballent. Sa prose est bridée, comme un cheval. «Je ne suis pas quelqu'un qui se laisse aller, ou qui s'en fiche», écrit-elle. C'est à se demander s'il lui arrive d'échapper, même hors caméra, à cet œil qui la regarde, la jauge. Son propre œil peut-être. Devant lequel elle fait l'excentrique, jusqu'à perdre son centre de gravité.
Elle retourne dans la ville de son enfance dont elle ne reconnaît que les caniveaux et les égouts, tout le reste a changé ; va visiter ensuite l'école qu'elle fréquentait. Elle dit son chagrin de découvrir ces lieux profanés. Elle dit qu'elle pleure. Mais elle le dit comme un robot. On dirait qu'elle écrit machinalement ; sa prose n'a pas de saveur, même plus de piquant.
Comme toujours, son style alterne euphémismes de vieux sages et hyperboles juvéniles. Mais le cœur n'y est plus: Amélie est lasse. Elle s'en va faire ensuite un tour à Fukushima. Elle s'applique à observer les lieux intelligemment. Mais cela sent son exercice. L'ennui qu'elle ressent et qui gagne le lecteur reflue un temps lorsqu'elle retrouve son ex-fiancé, Rinri, qui a refusé d'être suivi par les caméras. Enfin, une séquence d'émotion qui n'est pas sur-jouée.
Un moment de grâce
Mais au moment de repartir, la sensation de vide qu'Amélie avait fuie refait surface. Pour se rassurer, elle se dit que cette expérience de vacuité est l'accomplissement que cherchent les moines zen. N'empêche, «la stupide question de l'à quoi bon» lui rôde autour. Et puis ce vide n'est pas si vide: il est plein de ce «moi» qu'elle ne parvient pas à abolir. Dans l'avion du retour, elle connaît un moment de grâce en survolant l'Himalaya: «nuit bénie», «extase», «divin», «exaltation», «infini», elle ne lésine pas sur le vocabulaire mystique. Mais cela n'a qu'un temps. Avant son départ pour le Japon, elle avait écrit: «Je sais que j'ai besoin d'être sauvée. De quoi? D'un ensemble de choses dont beaucoup me sont inconnues.» Le roman s'achève sur le même mot: «inconnue». On l'aura compris, ce roman n'est pas un divertissement.
Je le commence ce soir...
Son nouveau roman, La Nostalgie heureuse, raconte son retour au pays de son enfance. Un voyage qui l'emmène là où elle ne pensait pas aller.
On imaginait qu'Amélie Nothomb était inaltérable, qu'elle resterait éternellement figée dans son personnage de poupée surdouée. Son nouveau livre, La Nostalgie heureuse, un roman autobiographique, prouve le contraire. Amélie Nothomb fait sa crise de la quarantaine, comme tout le monde.
Pour ne pas se laisser happer par l'appel du vide qui la menace, elle a décidé de retourner au pays de ses rêves, où elle a vécu enfant puis de nouveau vers l'âge de 20 ans. «J'ai besoin d'être subjuguée, d'avoir la foi. Le Japon suscite cela chez moi.» Elle raconte son voyage. Peu importe que le récit soit véridique, la narratrice, elle, est bien l'alter ego de la romancière.
Amélie est accompagnée par une équipe de tournage qui réalise un reportage sur les lieux dont deux de ses romans sont inspirés, Stupeur et tremblements et Ni d'Ève ni d'Adam. Tout au long du séjour, Amélie est filmée. Même lorsqu'elle retrouve sa chère nourrice qu'elle n'avait pas revue depuis vingt ans, la caméra tourne. Elle est sans cesse en représentation, attentive à composer son personnage. Du moins le surveille-t-elle.
Toute en retenue
Lorsqu'une émotion est trop forte et donc visible, elle s'arrange pour qu'intervienne un incident grotesque qui coupe court. Amélie Nothomb coupe toujours court. Même ses phrases, elle les casse avant qu'elles ne s'emballent. Sa prose est bridée, comme un cheval. «Je ne suis pas quelqu'un qui se laisse aller, ou qui s'en fiche», écrit-elle. C'est à se demander s'il lui arrive d'échapper, même hors caméra, à cet œil qui la regarde, la jauge. Son propre œil peut-être. Devant lequel elle fait l'excentrique, jusqu'à perdre son centre de gravité.
Elle retourne dans la ville de son enfance dont elle ne reconnaît que les caniveaux et les égouts, tout le reste a changé ; va visiter ensuite l'école qu'elle fréquentait. Elle dit son chagrin de découvrir ces lieux profanés. Elle dit qu'elle pleure. Mais elle le dit comme un robot. On dirait qu'elle écrit machinalement ; sa prose n'a pas de saveur, même plus de piquant.
Comme toujours, son style alterne euphémismes de vieux sages et hyperboles juvéniles. Mais le cœur n'y est plus: Amélie est lasse. Elle s'en va faire ensuite un tour à Fukushima. Elle s'applique à observer les lieux intelligemment. Mais cela sent son exercice. L'ennui qu'elle ressent et qui gagne le lecteur reflue un temps lorsqu'elle retrouve son ex-fiancé, Rinri, qui a refusé d'être suivi par les caméras. Enfin, une séquence d'émotion qui n'est pas sur-jouée.
Un moment de grâce
Mais au moment de repartir, la sensation de vide qu'Amélie avait fuie refait surface. Pour se rassurer, elle se dit que cette expérience de vacuité est l'accomplissement que cherchent les moines zen. N'empêche, «la stupide question de l'à quoi bon» lui rôde autour. Et puis ce vide n'est pas si vide: il est plein de ce «moi» qu'elle ne parvient pas à abolir. Dans l'avion du retour, elle connaît un moment de grâce en survolant l'Himalaya: «nuit bénie», «extase», «divin», «exaltation», «infini», elle ne lésine pas sur le vocabulaire mystique. Mais cela n'a qu'un temps. Avant son départ pour le Japon, elle avait écrit: «Je sais que j'ai besoin d'être sauvée. De quoi? D'un ensemble de choses dont beaucoup me sont inconnues.» Le roman s'achève sur le même mot: «inconnue». On l'aura compris, ce roman n'est pas un divertissement.
Dernière édition par Kashima le Jeu 22 Aoû 2013 - 19:10, édité 1 fois
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Culturebox, 20 août 2013
Comme chaque année, la rentrée littéraire de l'automne n'aura pas lieu sans Amélie Nothomb. La romancière publie "La nostalgie heureuse", son 22e roman. Un documentaire tourné au printemps 2013 par France 5 est le prétexte à ce nouveau récit autobiographique, où l'on suit avec tremblements son retour au Japon.
Par Laurence Houot
L'histoire : Amélie Nothomb, romancière très célèbre, retourne au Japon, le pays où elle a vécu les cinq premières années de sa vie. Elle est accompagnée par une équipe de tournage, qui réalise un documentaire : "Amélie Nothomb", une vie entre deux eaux". Lors de ce voyage, la romancière retrouve Nishio-san, sa nounou et Rinri, le fiancé de ses vingt ans. Elle arpente les paysages frappés par le Tsunami et cherche des traces sur les lieux où elle a vécu enfant. Amélie Nothomb se promène sous les cerisiers en fleurs, fait l'expérience du Kenshô ("un commencement gigantesque qui n'en finit pas de débuter") au milieu de la foule du carrefour de Shibuya, et éprouve finalement la joie de retrouver Paris, la ville où "elle a conquis le droit d'habiter". Le livre raconte tout ce que le film ne montre pas, tout ce que les images ne peuvent pas dire : le flot de sentiments contradictoires que ce retour opère en elle, et qui donne ce si beau titre en forme d'oxymore, "La nostalgie heureuse".
Ce 22e roman publié (elle en a écrit 76 en 20 ans, mais n'en publie qu'un sur 3), est un fil tendu entre l'Occident et l'Orient, entre l'Europe et le Japon, entre les deux mondes qui fondent l'œuvre d'Amélie Nothomb, confondue pour partie avec sa vie. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce livre trouve sa source dans un voyage, celui d'un retour sur les traces d'une enfance mythologique à jamais disparue, responsable d'une irrémédiable nostalgie (triste celle-là).
"Tout ce que l'on aime devient une fiction"
Comme un funambule donc, Amélie Nothomb pose le pied sur un étroit chemin entre le présent et le passé. L'équilibre est délicat, notre cœur sursaute chaque fois qu'on imagine la chute, mais Amélie Nothomb ne tombe pas. A l'image de ces phrases commencées dans la tragédie et terminées par une blague, elle transporte avec légèreté et gravité son lecteur au dessus du vide, un vide laissé par une enfance envolée, des retrouvailles ultimes, une certaine idée du temps qui passe et ne reviendra pas, et de l'effacement des traces (pas seulement causées par les ravages du tsunami). Amélie Nothomb provoque l'émotion avec élégance.
L'écrivain a grandi en pensant qu'elle était japonaise, mais un jour il faut grandir et ce voyage range le passé dans le présent, sous la forme d'un roman. "Tout ce que l'on aime devient une fiction", voilà peut-être à quoi servent les livres pour ceux qui les écrivent, en offrande à ceux qui les lisent.
Le Nothomb 2013, "La nostalgie heureuse", est un excellent cru, à goûter sans tarder.
Par Laurence Houot
L'histoire : Amélie Nothomb, romancière très célèbre, retourne au Japon, le pays où elle a vécu les cinq premières années de sa vie. Elle est accompagnée par une équipe de tournage, qui réalise un documentaire : "Amélie Nothomb", une vie entre deux eaux". Lors de ce voyage, la romancière retrouve Nishio-san, sa nounou et Rinri, le fiancé de ses vingt ans. Elle arpente les paysages frappés par le Tsunami et cherche des traces sur les lieux où elle a vécu enfant. Amélie Nothomb se promène sous les cerisiers en fleurs, fait l'expérience du Kenshô ("un commencement gigantesque qui n'en finit pas de débuter") au milieu de la foule du carrefour de Shibuya, et éprouve finalement la joie de retrouver Paris, la ville où "elle a conquis le droit d'habiter". Le livre raconte tout ce que le film ne montre pas, tout ce que les images ne peuvent pas dire : le flot de sentiments contradictoires que ce retour opère en elle, et qui donne ce si beau titre en forme d'oxymore, "La nostalgie heureuse".
Ce 22e roman publié (elle en a écrit 76 en 20 ans, mais n'en publie qu'un sur 3), est un fil tendu entre l'Occident et l'Orient, entre l'Europe et le Japon, entre les deux mondes qui fondent l'œuvre d'Amélie Nothomb, confondue pour partie avec sa vie. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce livre trouve sa source dans un voyage, celui d'un retour sur les traces d'une enfance mythologique à jamais disparue, responsable d'une irrémédiable nostalgie (triste celle-là).
"Tout ce que l'on aime devient une fiction"
Comme un funambule donc, Amélie Nothomb pose le pied sur un étroit chemin entre le présent et le passé. L'équilibre est délicat, notre cœur sursaute chaque fois qu'on imagine la chute, mais Amélie Nothomb ne tombe pas. A l'image de ces phrases commencées dans la tragédie et terminées par une blague, elle transporte avec légèreté et gravité son lecteur au dessus du vide, un vide laissé par une enfance envolée, des retrouvailles ultimes, une certaine idée du temps qui passe et ne reviendra pas, et de l'effacement des traces (pas seulement causées par les ravages du tsunami). Amélie Nothomb provoque l'émotion avec élégance.
L'écrivain a grandi en pensant qu'elle était japonaise, mais un jour il faut grandir et ce voyage range le passé dans le présent, sous la forme d'un roman. "Tout ce que l'on aime devient une fiction", voilà peut-être à quoi servent les livres pour ceux qui les écrivent, en offrande à ceux qui les lisent.
Le Nothomb 2013, "La nostalgie heureuse", est un excellent cru, à goûter sans tarder.
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Lilian Auzas
LA NOSTALGIE HEUREUSE D'AMÉLIE NOTHOMB par LILIAN AUZAS
L'enfer d'Amélie Nothomb
par Lilian Auzas
Comme beaucoup de lecteurs, je ne rate jamais le Nothomb de l'année. Et depuis l'an 2000, à la terrible question de n'en choisir qu'un parmi son œuvre, ma réponse était invariable. Je répondais : Métaphysique des tubes. Dorénavant, ce sera La Nostalgie heureuse, son vingt-deuxième roman paru chez Albin Michel.
Le printemps
Vit un ange
Rayonnant de lumière
Descendre du ciel sur la terre
Mais un pied insolent l'écrasa.
Heinrich von Kleist, La Famille Schroffenstein
Amélie Nothomb porte l'Enfer en elle. Elle cohabite avec lui depuis si longtemps qu'elle semble s'en être accommodée. Mieux, c'est lui qui la nourrit et l'inspire. L'Enfer brûle à travers chacune des pages des œuvres d'Amélie Nothomb. Il y a de la fascination aussi. Comme Jérôme Bosch en son temps cherchait à représenter dans ses toiles les tortures et les labeurs infernaux qui occupaient les habitants du royaume d'Hadès, l'écrivain cherchait aussi jusqu'à présent à cerner la mécanique du monde vivant qui mène aux Abîmes. Et avec La Nostalgie heureuse, elle nous écrit l'avoir compris. Parce que son dernier roman est surtout un récit de voyage. Celui de sa descente aux Enfers. Qu'on se rassure, elle en est revenue vivante. Y aurait-il en elle quelque chose de chthonien ?
Amélie – Proserpine ?
Métaphysique des tubes s'achève sur une sentence apodictique : « Ensuite, il ne s'est plus rien passé. » Il faut dire que durant ses cinq premières années, le futur écrivain avait déjà vécu l'amour et la mort. Autrement dit, tout. Éros et Thanatos rythment le destin d'un homme. Amélie Nothomb l'a compris dès son plus jeune âge : enfant aimée et choyée, Amélie était Dieu. La sortie du berceau fut à ses yeux une terrible chute du ciel vers la terre. Oui, mais voilà : fort heureusement, elle était tombée au Japon. Le Paradis était sur terre et elle s'y trouvait.
Ce Japon, l'écrivain l'aime de toute ses forces ; elle est écrasée par lui. Elle le fantasme, le reconstitue à travers l'archipel de ses souvenirs :
« Tout ce que l'on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon. (…) À aucun moment je n'ai décidé d'inventer. Cela s'est fait de soi-même. Il ne s'est jamais agi de glisser le faux dans le vrai, ni d'habiller le vrai des parures du faux. Ce que l'on a vécu laisse dans la poitrine une musique : c'est elle qu'on s'efforce d'entendre à travers le récit. Il s'agit d'écrire ce son avec les moyens du langage. Cela suppose des coupes et des approximations. On élague pour mettre à nu le trouble qui nous a gagnés. » (La Nostalgie heureuse, pp. 7-
Ce défrichage musical est brillamment opéré dans plusieurs de ses romans. Le Japon y est partout présent, comme instillé, quand on y réfléchit bien. Mais l'épopée nippone de Nothomb démarre en boustrophédon avec Métaphysique des tubes (2000) et un bon nombre de pages de Biographie de la faim (2004), continue avec Stupeur et Tremblements (1999, Grand Prix du roman de l'Académie française) et Ni d'Ève ni d'Adam (2007, Prix de Flore), se complète d'un épisode inédit avec Les Myrtilles (2011)1, et semble s'achever avec son dernier opus, La Nostalgie heureuse.
A cinq ans, suite à une mutation de son père, alors ambassadeur de Belgique, Amélie est contrainte de quitter le Japon. Elle eut l'impression d'être excommuniée, une nouvelle Ève bannie du Paradis sans qu'elle ne sache la nature de son péché. Que fut dès lors sa vie sans le Japon ? Rien. Le vide.
Elle y retournera pourtant « à vingt et un ans avec le sentiment du commencement pur. » (La Nostalgie heureuse, p. 30) Elle croyait alors retrouver son Japon, elle en trouva un autre, comme on le sait. Amélie Nothomb comprit que la musique ne pouvait être jouée deux fois ; la partition de ses souvenirs était quelque part dans un temple japonais. Elle y resta deux ans pour travailler dans la compagnie Yumimoto où elle fit l'expérience du déclin professionnel. Mais en contrepartie elle vécut une belle histoire d'amour avec Rinri, un Japonais chevaleresque.
Lorsque Amélie Nothomb s'évade de l'archipel au début des années quatre vingt-dix, elle revint alors en Europe avec un autre Japon, une autre musique. C'était différent, pas forcément moins beau. Bien au contraire : le Paradis s'était alors métamorphosé en un Purgatoire où cohabitaient la souffrance (professionnelle) et l'extase (amoureuse) ; pas de demi mesure au Japon, rien que des extrêmes, rien que de l'entier. C'est qu'il faut bien combler le vide quand on le quitte.
« Je sais que j'avais besoin d'être subjuguée, d'avoir la foi. Le Japon suscite cela chez moi. Il est le seul. » (La Nostalgie heureuse, p. 31)
Fin mars 2012, l'écrivain retourne au Japon. Pas de son plein gré. Une équipe de télévision de France 5 souhaite réaliser un documentaire sur elle et ses racines nippones. En outre, son éditeur japonais vient de faire paraître la traduction de Métaphysique des tubes. Amélie Nothomb est alors contrainte à un exercice qu'elle ne se serait jamais imposée d'elle-même.
« Le 27 mars, quand l'avion décolla, je me demandai si, sans télévision et éditeur nippon, j'aurais pris un jour l'initiative de revoir l'archipel. C'est le genre de question creuse à laquelle on n'a jamais la réponse. Néanmoins, je subodorais que non. » (La Nostalgie heureuse, p. 33)
La descente aux Enfers commence.
L'auteur ne s'en rend pas compte tout de suite. C'est que l'on parcourt le ciel pour atteindre l'archipel du Soleil levant. Amélie Nothomb, pourtant mal à l'aise dès le début, se persuade de retourner au Paradis.
Mais c'est un troisième Japon qui s'offre à elle. Un archipel qui porte désormais les séquelles du 11 mars 2011. A part d'infimes exceptions, comme une photographie, le Japon n'a rien retenu de son passage à elle. Les séismes ont eu raison des traces. Il ne lui restera donc que ses souvenirs, que cette musique dans le lointain. Amélie Nothomb n'était pas dans un quadrige en route vers le Soleil, elle était dans la barque de Charon et s'engouffrait dans la brume qui plombe la surface du Styx. L'écrivain ne voit plus rien ; il ne lui reste plus qu'à réfléchir et qu'à contempler ce qui reste. Les visages de Nishio-san et Rinri la rassurent, elle se fie à eux. Les retrouvailles sont poignantes. Elles sont le gage que ses Japons ont existé. L'auteur réfléchit et contemple cet autre pays qu'elle croyait avoir vu deux fois déjà. Le pays l'accapare encore plus violemment. Tout est encore beau, délicat et vigoureux malgré la houle et le choc apocalyptique des destructions.
Elle jurerait que les hérons « sont là par curiosité, ou pour surveiller les grues. » (La Nostalgie heureuse, p. 86) Oui, cet échassier est le symbole de la longévité dans les cultures d'Extrême-Orient. Le Japon est un empire qui n'est pas près de s'effacer. Encore moins dans la tête d'Amélie Nothomb.
« Je n'ai pas rêvé. Il y a bel et bien une continuité entre cette enfant et l'adulte que je suis devenue. » (La Nostalgie heureuse, p. 70)
C'est à l'ombre d'un cerisier, en posant pour le réalisateur, qu'elle comprend ce qui lui arrive : elle « n'éprouve tout simplement rien. » (La Nostalgie heureuse, p. 131) La quête d'Amélie Nothomb était de retrouver cette béatitude, le Nirvana. Enfin, de l'accepter. Après tout, « au commencement, il n'y avait rien. » (Métaphysique des tubes, p. 7)
Le dernier roman d'Amélie Nothomb narre cette quête spirituelle : une communion avec elle-même après une odyssée dantesque qui aura duré plus de quarante ans. Dans la culture occidentale, « la douleur du retour », la nostalgie, s'est parée d'un voile triste ; les Japonais la distingue de ce qu'ils nomment « natsukashii », la nostalgie heureuse, c'est à dire « l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur. » (La Nostalgie heureuse, p. 90). Étrange et sublime oxymore que ce concept. Alors l'écrivain renaît, accède au « natsukashii », accepte ses Japons. Elle sera heureuse désormais en repensant à eux. Un fabuleux programme. Et un magnifique concert.
La Nostalgie heureuse dévoile les métopes qui ornent le temple du jardin secret d'Amélie Nothomb. L'auteur semble apaisé. L'Enfer, elle le porte en elle, juste là, dans son cœur, à côté de son Paradis. C'est tout cela son Japon. Elle est donc là-bas la déité de l'écrivain, non loin après la barrière de l'Himalaya.
Un conseil tout de même : Amélie Nothomb, ne vous retournez pas.
L'enfer d'Amélie Nothomb
par Lilian Auzas
Comme beaucoup de lecteurs, je ne rate jamais le Nothomb de l'année. Et depuis l'an 2000, à la terrible question de n'en choisir qu'un parmi son œuvre, ma réponse était invariable. Je répondais : Métaphysique des tubes. Dorénavant, ce sera La Nostalgie heureuse, son vingt-deuxième roman paru chez Albin Michel.
Le printemps
Vit un ange
Rayonnant de lumière
Descendre du ciel sur la terre
Mais un pied insolent l'écrasa.
Heinrich von Kleist, La Famille Schroffenstein
Amélie Nothomb porte l'Enfer en elle. Elle cohabite avec lui depuis si longtemps qu'elle semble s'en être accommodée. Mieux, c'est lui qui la nourrit et l'inspire. L'Enfer brûle à travers chacune des pages des œuvres d'Amélie Nothomb. Il y a de la fascination aussi. Comme Jérôme Bosch en son temps cherchait à représenter dans ses toiles les tortures et les labeurs infernaux qui occupaient les habitants du royaume d'Hadès, l'écrivain cherchait aussi jusqu'à présent à cerner la mécanique du monde vivant qui mène aux Abîmes. Et avec La Nostalgie heureuse, elle nous écrit l'avoir compris. Parce que son dernier roman est surtout un récit de voyage. Celui de sa descente aux Enfers. Qu'on se rassure, elle en est revenue vivante. Y aurait-il en elle quelque chose de chthonien ?
Amélie – Proserpine ?
Métaphysique des tubes s'achève sur une sentence apodictique : « Ensuite, il ne s'est plus rien passé. » Il faut dire que durant ses cinq premières années, le futur écrivain avait déjà vécu l'amour et la mort. Autrement dit, tout. Éros et Thanatos rythment le destin d'un homme. Amélie Nothomb l'a compris dès son plus jeune âge : enfant aimée et choyée, Amélie était Dieu. La sortie du berceau fut à ses yeux une terrible chute du ciel vers la terre. Oui, mais voilà : fort heureusement, elle était tombée au Japon. Le Paradis était sur terre et elle s'y trouvait.
Ce Japon, l'écrivain l'aime de toute ses forces ; elle est écrasée par lui. Elle le fantasme, le reconstitue à travers l'archipel de ses souvenirs :
« Tout ce que l'on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon. (…) À aucun moment je n'ai décidé d'inventer. Cela s'est fait de soi-même. Il ne s'est jamais agi de glisser le faux dans le vrai, ni d'habiller le vrai des parures du faux. Ce que l'on a vécu laisse dans la poitrine une musique : c'est elle qu'on s'efforce d'entendre à travers le récit. Il s'agit d'écrire ce son avec les moyens du langage. Cela suppose des coupes et des approximations. On élague pour mettre à nu le trouble qui nous a gagnés. » (La Nostalgie heureuse, pp. 7-
Ce défrichage musical est brillamment opéré dans plusieurs de ses romans. Le Japon y est partout présent, comme instillé, quand on y réfléchit bien. Mais l'épopée nippone de Nothomb démarre en boustrophédon avec Métaphysique des tubes (2000) et un bon nombre de pages de Biographie de la faim (2004), continue avec Stupeur et Tremblements (1999, Grand Prix du roman de l'Académie française) et Ni d'Ève ni d'Adam (2007, Prix de Flore), se complète d'un épisode inédit avec Les Myrtilles (2011)1, et semble s'achever avec son dernier opus, La Nostalgie heureuse.
A cinq ans, suite à une mutation de son père, alors ambassadeur de Belgique, Amélie est contrainte de quitter le Japon. Elle eut l'impression d'être excommuniée, une nouvelle Ève bannie du Paradis sans qu'elle ne sache la nature de son péché. Que fut dès lors sa vie sans le Japon ? Rien. Le vide.
Elle y retournera pourtant « à vingt et un ans avec le sentiment du commencement pur. » (La Nostalgie heureuse, p. 30) Elle croyait alors retrouver son Japon, elle en trouva un autre, comme on le sait. Amélie Nothomb comprit que la musique ne pouvait être jouée deux fois ; la partition de ses souvenirs était quelque part dans un temple japonais. Elle y resta deux ans pour travailler dans la compagnie Yumimoto où elle fit l'expérience du déclin professionnel. Mais en contrepartie elle vécut une belle histoire d'amour avec Rinri, un Japonais chevaleresque.
Lorsque Amélie Nothomb s'évade de l'archipel au début des années quatre vingt-dix, elle revint alors en Europe avec un autre Japon, une autre musique. C'était différent, pas forcément moins beau. Bien au contraire : le Paradis s'était alors métamorphosé en un Purgatoire où cohabitaient la souffrance (professionnelle) et l'extase (amoureuse) ; pas de demi mesure au Japon, rien que des extrêmes, rien que de l'entier. C'est qu'il faut bien combler le vide quand on le quitte.
« Je sais que j'avais besoin d'être subjuguée, d'avoir la foi. Le Japon suscite cela chez moi. Il est le seul. » (La Nostalgie heureuse, p. 31)
Fin mars 2012, l'écrivain retourne au Japon. Pas de son plein gré. Une équipe de télévision de France 5 souhaite réaliser un documentaire sur elle et ses racines nippones. En outre, son éditeur japonais vient de faire paraître la traduction de Métaphysique des tubes. Amélie Nothomb est alors contrainte à un exercice qu'elle ne se serait jamais imposée d'elle-même.
« Le 27 mars, quand l'avion décolla, je me demandai si, sans télévision et éditeur nippon, j'aurais pris un jour l'initiative de revoir l'archipel. C'est le genre de question creuse à laquelle on n'a jamais la réponse. Néanmoins, je subodorais que non. » (La Nostalgie heureuse, p. 33)
La descente aux Enfers commence.
L'auteur ne s'en rend pas compte tout de suite. C'est que l'on parcourt le ciel pour atteindre l'archipel du Soleil levant. Amélie Nothomb, pourtant mal à l'aise dès le début, se persuade de retourner au Paradis.
Mais c'est un troisième Japon qui s'offre à elle. Un archipel qui porte désormais les séquelles du 11 mars 2011. A part d'infimes exceptions, comme une photographie, le Japon n'a rien retenu de son passage à elle. Les séismes ont eu raison des traces. Il ne lui restera donc que ses souvenirs, que cette musique dans le lointain. Amélie Nothomb n'était pas dans un quadrige en route vers le Soleil, elle était dans la barque de Charon et s'engouffrait dans la brume qui plombe la surface du Styx. L'écrivain ne voit plus rien ; il ne lui reste plus qu'à réfléchir et qu'à contempler ce qui reste. Les visages de Nishio-san et Rinri la rassurent, elle se fie à eux. Les retrouvailles sont poignantes. Elles sont le gage que ses Japons ont existé. L'auteur réfléchit et contemple cet autre pays qu'elle croyait avoir vu deux fois déjà. Le pays l'accapare encore plus violemment. Tout est encore beau, délicat et vigoureux malgré la houle et le choc apocalyptique des destructions.
Elle jurerait que les hérons « sont là par curiosité, ou pour surveiller les grues. » (La Nostalgie heureuse, p. 86) Oui, cet échassier est le symbole de la longévité dans les cultures d'Extrême-Orient. Le Japon est un empire qui n'est pas près de s'effacer. Encore moins dans la tête d'Amélie Nothomb.
« Je n'ai pas rêvé. Il y a bel et bien une continuité entre cette enfant et l'adulte que je suis devenue. » (La Nostalgie heureuse, p. 70)
C'est à l'ombre d'un cerisier, en posant pour le réalisateur, qu'elle comprend ce qui lui arrive : elle « n'éprouve tout simplement rien. » (La Nostalgie heureuse, p. 131) La quête d'Amélie Nothomb était de retrouver cette béatitude, le Nirvana. Enfin, de l'accepter. Après tout, « au commencement, il n'y avait rien. » (Métaphysique des tubes, p. 7)
Le dernier roman d'Amélie Nothomb narre cette quête spirituelle : une communion avec elle-même après une odyssée dantesque qui aura duré plus de quarante ans. Dans la culture occidentale, « la douleur du retour », la nostalgie, s'est parée d'un voile triste ; les Japonais la distingue de ce qu'ils nomment « natsukashii », la nostalgie heureuse, c'est à dire « l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur. » (La Nostalgie heureuse, p. 90). Étrange et sublime oxymore que ce concept. Alors l'écrivain renaît, accède au « natsukashii », accepte ses Japons. Elle sera heureuse désormais en repensant à eux. Un fabuleux programme. Et un magnifique concert.
La Nostalgie heureuse dévoile les métopes qui ornent le temple du jardin secret d'Amélie Nothomb. L'auteur semble apaisé. L'Enfer, elle le porte en elle, juste là, dans son cœur, à côté de son Paradis. C'est tout cela son Japon. Elle est donc là-bas la déité de l'écrivain, non loin après la barrière de l'Himalaya.
Un conseil tout de même : Amélie Nothomb, ne vous retournez pas.
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
La nostalgie heureuse, Nothomb
“J’ai connu tant d’adieux que j’en ai le coeur démoli.”
Une demi-heure après avoir fini La Nostalgie heureuse, c'est le sentiment de tristesse qui domine, comme si le titre était le contraire de ce que contient le livre. On a le cœur lourd de la perte et de l'autrefois.
Alors qu'elle s'étonne d'entendre l'interprète utiliser le mot "nostalgic" plutôt que "natsukashii", Amélie apprend d'elle:
""Natsukashii" désigne la nostalgie heureuse,l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur.Vos traits et votre voix signifiaient votre chagrin, il s'agissait donc de nostalgie triste, qui n'est pas une notion japonaise."
Vingt ans après, pour les besoins du tournage d'Empreintes, "Une vie entre deux eaux", documentaire de Luca Chiari, écrit par Laureline Amanieux, lectrice d'Amélie Nothomb de la première heure et auteur d'un essai sur elle, Amélie retourne sur les terres de son enfance. Désir de retrouvailles avec le passé, certes, mais recherche aussi d'une preuve que cela fut. Dans ce Japon touché à deux reprises par des séismes très importants (1995 et 2011), les traces de l'enfance ont disparu : il reste une photo à la maternelle, un toboggan, les caniveaux et les égouts. Le reste est dans le souvenir et l'imagination, pour preuve ce parc où Amélie venait avec Rinri, l'amoureux des vingt ans : il n'est plus qu'un carré de jeu pour enfants :
“Des immeubles ont été construits à la place des iris pour ce motif qu’on n’habite pas un iris.”
“L’Apocalypse, c’est quand on ne reconnaît plus rien.”
Sur place, deux personnes incarnent le passé perdu : la gouvernante japonaise, "mère sacrée", devenue une vieille femme de 79 ans abandonnée de ses filles et privée de sa maison détruite lors du tremblement de terre, et Rinri, l'amoureux abandonné autrefois juste avant le mariage envisagé. De ses retrouvailles avec Nishio-san, Amélie fait un récit émouvant qu'elle parvient à rendre moins pénible (alors que, dans le documentaire, l'épisode l'était) en racontant comment son nez s'est mis à couler sur la tête sacrée :
Bizarrement, c'est le seul moment qui m'a fait rire, même si j'ai souri aux caniveaux et au coup de fil de France.
Le dernier jour, Amélie fait l'épreuve du kensho (1) : broyée, vidée plutôt par toutes ces émotions, elle se laisse engloutir par la foule tokyoïte.
“Je suis une aspirine effervescente qui se dissout dans Tokyo.”
Elle perd la raison, le sens de la réalité comme quand elle s'évadait en se défenestrant dans Stupeur et tremblements. Le coup de fil de Pascale Clark (dont je me souviens très bien, ce matin où Amélie fut jointe pour le prix Inter dont elle était présidente) est drôle et montre le décalage qu'il y a entre les réalités parisiennes et ce voyage en terre du souvenir. Le réécouter après coup est intéressant! Amélie au téléphone en plein kensho!
http://www.franceinter.fr/emission-comme-on-nous-parle-le-livre-inter-et-le-debat-des-chroculs
(2 avril 2012)
Sur le chemin du retour en France, Amélie se laisse griser par la beauté et l'immensité de l'Himalaya, ce qui donne une très joli passage :
Le coeur se brise à maintes reprises dans ce Japon retrouvé et idéalisé, et pourtant idéal. Sa vie, désormais, est ailleurs, même si elle se surprend parfois à vouloir rester ou emmener avec elle la vieille gouvernante.
“Je suis trop occupée à contenir mon coeur brisé.”
La nostalgie de ce roman est qualifié d'heureuse, peut-être pour qu'Amélie puisse s'en convaincre.
Alors qu'elle s'étonne d'entendre l'interprète utiliser le mot "nostalgic" plutôt que "natsukashii", Amélie apprend d'elle:
""Natsukashii" désigne la nostalgie heureuse,l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur.Vos traits et votre voix signifiaient votre chagrin, il s'agissait donc de nostalgie triste, qui n'est pas une notion japonaise."
Vingt ans après, pour les besoins du tournage d'Empreintes, "Une vie entre deux eaux", documentaire de Luca Chiari, écrit par Laureline Amanieux, lectrice d'Amélie Nothomb de la première heure et auteur d'un essai sur elle, Amélie retourne sur les terres de son enfance. Désir de retrouvailles avec le passé, certes, mais recherche aussi d'une preuve que cela fut. Dans ce Japon touché à deux reprises par des séismes très importants (1995 et 2011), les traces de l'enfance ont disparu : il reste une photo à la maternelle, un toboggan, les caniveaux et les égouts. Le reste est dans le souvenir et l'imagination, pour preuve ce parc où Amélie venait avec Rinri, l'amoureux des vingt ans : il n'est plus qu'un carré de jeu pour enfants :
“Des immeubles ont été construits à la place des iris pour ce motif qu’on n’habite pas un iris.”
“L’Apocalypse, c’est quand on ne reconnaît plus rien.”
Sur place, deux personnes incarnent le passé perdu : la gouvernante japonaise, "mère sacrée", devenue une vieille femme de 79 ans abandonnée de ses filles et privée de sa maison détruite lors du tremblement de terre, et Rinri, l'amoureux abandonné autrefois juste avant le mariage envisagé. De ses retrouvailles avec Nishio-san, Amélie fait un récit émouvant qu'elle parvient à rendre moins pénible (alors que, dans le documentaire, l'épisode l'était) en racontant comment son nez s'est mis à couler sur la tête sacrée :
Bizarrement, c'est le seul moment qui m'a fait rire, même si j'ai souri aux caniveaux et au coup de fil de France.
Le dernier jour, Amélie fait l'épreuve du kensho (1) : broyée, vidée plutôt par toutes ces émotions, elle se laisse engloutir par la foule tokyoïte.
“Je suis une aspirine effervescente qui se dissout dans Tokyo.”
Elle perd la raison, le sens de la réalité comme quand elle s'évadait en se défenestrant dans Stupeur et tremblements. Le coup de fil de Pascale Clark (dont je me souviens très bien, ce matin où Amélie fut jointe pour le prix Inter dont elle était présidente) est drôle et montre le décalage qu'il y a entre les réalités parisiennes et ce voyage en terre du souvenir. Le réécouter après coup est intéressant! Amélie au téléphone en plein kensho!
http://www.franceinter.fr/emission-comme-on-nous-parle-le-livre-inter-et-le-debat-des-chroculs
(2 avril 2012)
Sur le chemin du retour en France, Amélie se laisse griser par la beauté et l'immensité de l'Himalaya, ce qui donne une très joli passage :
Le coeur se brise à maintes reprises dans ce Japon retrouvé et idéalisé, et pourtant idéal. Sa vie, désormais, est ailleurs, même si elle se surprend parfois à vouloir rester ou emmener avec elle la vieille gouvernante.
“Je suis trop occupée à contenir mon coeur brisé.”
La nostalgie de ce roman est qualifié d'heureuse, peut-être pour qu'Amélie puisse s'en convaincre.
Pour revoir le documentaire après lecture, c'est ici, sur le site officiel.
(1) Le kenshō (見性, littéralement « voir la nature » en japonais) est un concept important du bouddhisme Zen. On peut le traduire par éveil, illumination ou conscience de soi. Il désigne pour l'individu l'accomplissement de sa propre nature, c'est-à-dire celle du Bouddha. Le kenshō indique un éveil préliminaire qui précèderait l'éveil complet du satori, que le Bouddha et les maîtres zen ont atteint.
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Amélie Nothomb, nostalgique mais heureuse
http://www.franceinter.fr/emission-comme-on-nous-parle-amelie-nothomb-nostalgique-mais-heureuse
Kashima- Faux-monnayeur
- Nombre de messages : 6546
Date d'inscription : 29/09/2008
Edencash :: Bibliothekos :: Amélie N.
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum