Art en marche!

Avant de répondre à ta question concernant la différence entre art brut et art naif, je te poserai une question. Tu as bien défini ces 2 concepts, ne percois-tu pas une différence cruciale dans leurs caractéristiques?

Art brut, art naif, art populaire, art singulier, art autre, art “hors-les-normes”, art outsider… Les
qualificatifs ( que tu cites d'ailleurs ) prolifèrent depuis plus d’un demi-siècle et c'est vrai, "l’amateur" s’égare dans cette jungle
d’appellations plus ou moins contrôlées. Qu’est-ce donc que l’art brut et comment s’y repérer ? On
l’a souvent situé aux côtés de l’art des primitifs, de celui des enfants (mais les enfants font-ils de
l’art ?) et plus encore confondu avec ce qu’André Breton nommait, en 1953," l’art des fous".
Cependant, cette assimilation entre l’art brut et l’art des fous paraît désormais abusive, ou, pour le
dire comme Jean Dubuffet – l’inventeur de l’art brut-, comme tu le dis également: " Pas plus d ‘art des fous que
d’art des dyspeptiques ou des malades du genou." Alors qu’en est-il de l’art brut ?

Même si cette assimilation entre "art brut" et "art des fous" est de nos jours abusive, elle ne l'était pas en 1945 quand Dubuffet a inventé ce terme. Il ne faudrait pas oublier que Dubuffet approfondit les découvertes et les travaux faits par le Docteur Hans Prinzhorn dans les années 1920 sur "l'art des fous". Ce n'est que par la suite que ce concept prendra une autre co-notation car Dubuffet le redéfinira souvent.
Qui plus est, l'art naif existait bien avant. Le terme "naif", en art, est utilisé pour la première fois au XIX. siècle pour qualifier les oeuvres du peintre Douanier Rousseau. Cette peinture "hors-normes" ne s'inscrit pas pour autant dans les recherches picturales de l'avant-garde de l'époque ( l'impressionisme).
L'art naif est avant tout figuratif ( ce qui n'est pas le cas de l'art brut ou pas nécessairement!), caractérisé par la minutie apportée aux détails, l'emploi des couleurs vives ( en ce point, se rapprochant de l'impressionisme) et la représentation de sujets populaires. Cet anticonformisme mène pourtant ( paradoxalement?) à une autre forme d'académisme ( ce qui n'est pas non plus le cas pour l'art brut!)

En outre, il y a dans l'art brut, des plans de profondeurs (une forme de perspective , inexistante dans l'art naif).
Cette forme de production dont Dubuffet pensait qu'elle était "la voie d'expression des couches sous-jacentes, des plans de la profondeur", susceptibles de livrer passage aux "manifestations directes et immédiates du feu intérieur de la vie", témoigne ainsi,
comme l’écrivait Gilles Deleuze du fait que "créer,ce n’est pas communiquer, c’est résister".

L'ar brut, il faut aller le chercher là où il est. Où est-il ?
Par définition, il ne se montre pas : " L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a fait pour lui,
écrivait Jean Dubuffet, il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito.
Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle".

Le passage que tu cites de Chichorro définit fort bien ce qu'est l'art brut. Il est RESISTANCE!

"1- Sur ta peinture n’accepte aucun conseil, même pas le mien. Ne rentre jamais dans une école de Beaux-Arts et évite les professeurs et les peintres surtout quand ils te proposeront des stages d’aquarelle, des cours de dessin, des initiations à la peinture. Tu les écarteras par une formule dissuasive telle que "Ta gueule ! .."

Résistance au conformisme, résistance à l’isolement, à l’exclusion et à l’enfermement, résistance à la souffrance extrême de ces auteurs "personnes obscures, étrangères aux milieux artistiques" qui, en travaillant dans "le secret, le silence et la solitude" ont produit ces
dessins, ces broderies, ces objets, " productions inventées par elles-mêmes, à partir de leurs propres impulsions et ne devant rien aux poncifs artistiques ou culturels" ainsi que Jean Dubuffet définissait en 1949 ces productions de "l’homme du commun à l’ouvrage."

Kashima, toi qui t'intéresses au Japon, je te recommande dans ce cadre, l'exposition d'art brut japonais à la Halle St Pierre à Paris ( du 24 mars 2010 au 2 janvier 2011).
Et comme tu faisais référence à un artiste des pays de l'Est, je te renverrais à Adam Nizgorski, artiste franco-polonais, autodidacte, qui après avoir vu des œuvres de Jean Dubuffet à Beaubourg, entre en contact avec lui et recoit de vifs encouragements à poursuivre sa création d'une étonnante spontanéité.

Et pour finir, je dirais que la réponse sur le site du musée ( que tu cites) pour définir l'art brut est loin d'être satisfaisante car au lieu d'éclairer tout est confondu!
Art brut= art primitif = art naif.....?!

"Art Brut = Art hors les normes = Autre Art = autre art = outsider art = neuve invention = les étonnants = les insensés de l’art = Art canaille =Primitif moderne = nouvelle figuration = art contemporain = art ludique = art insolite = primitivisme = art naïf = chamanisme = art primitif = art total = art d’aujourd’hui = art spontané = Art des anges = grass roots art = art dérisoire = art spirite = baz’art = l’art en marche = arbrutologie = art récup = art obscur = art populaire = art schizophrène = art singulier = singulier de l’art = art libre = indomptés de l’art = art en marge = création franche = margin art. "

Enigma a écrit:

Kashima, toi qui t'intéresses au Japon, je te recommande dans ce cadre, l'exposition d'art brut japonais à la Halle St Pierre à Paris ( du 24 mars 2010 au 2 janvier 2011).

Je l'ai vue il y a quelques mois...
Merci pour ces précisions dont j'étais vraiment avide!

Art brut= art primitif = art naif.....?!

Justement, je n'y comprenais plus rien! Là-bas, les deux semblaient être utilisés indifféremment...

Mais pas seulement les 2 ( art brut/ naif) d'après ce que tu cites! C'est une vraie soupe! Que des amateurs confondent tous ces concepts, c'est compréhensible et excusable mais un musée?!
Je ne peux m'empêcher de citer une fois de plus cette aberration:

"Art Brut = Art hors les normes = Autre Art = autre art = outsider art = neuve invention = les étonnants = les insensés de l’art = Art canaille =Primitif moderne = nouvelle figuration = art contemporain = art ludique = art insolite = primitivisme = art naïf = chamanisme = art primitif = art total = art d’aujourd’hui = art spontané = Art des anges = grass roots art = art dérisoire = art spirite = baz’art = l’art en marche = arbrutologie = art récup = art obscur = art populaire = art schizophrène = art singulier = singulier de l’art = art libre = indomptés de l’art = art en marge = création franche = margin art. "


Il s'agit d'histoire de l'art...Si l'art naif est un courant artistique du XIX. siècle et l'art primitif un courant né dans la 2. moitié du XX. siècle, ils ne peuvent pas être synonymes.
Prenons un exemple: le romantisme européen, qui a ses sources en Allemagne et en Angleterre, ( fin XVIII. siècle et qui ne s'impose en France qu'entre 1820 et 1830) est clairement "défini" historiquement. Que des auteurs contemporains, artistes, musiciens...s'inspirent du romantisme, en reprennent certaines caractéristiques, ne fait pas pour autant d'eux des romantiques!
Qui plus est, la "folie", est-elle une caractéristique de l'art naif? Pure interrogation rhétorique!

Art brut = art hors les normes = art singulier?! Quelle aberration encore une fois en histoire de l'art! Ces concepts lui sont postérieurs!
En 1960, un architecte, Alain Bourbonnais, monte sa propre collection d'artistes marginaux en parallèle à celle de Dubuffet. Il rencontre ce dernier en 1971 et décide alors d'ouvrir son propre espace, l'Atelier Jacob, en 1972. Deux nouveaux termes sont crées : l'art "hors-les-normes" puis "singulier". Ce dernier connaitra la notoriété dès 1978 grâce à la grande exposition organisée par Bourbonnais et Michel Ragon : Les Singuliers de l'Art au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Cette exposition contribuera largement à faire connaître ce mouvement auprès du public. La Collection Bourbonnais s'est installée définitivement à Dicy en 1983 sous le nom de La Fabuloserie.

Au fait, as-tu vu cette exposition de L'Art en marche? Je ne l'ai pas vue, j'en ai seulement entendu parler. Si oui, comparée à celle sur l'art brut japonais, quelles sont tes impressions?

A propos d'art primitif japonais,dans le registre obsessionnel du détail, il y a Hidenori MOTOOKA qui lui est obnubilé par les trains. Cet autiste de 30 ans a l’ambition de réunir tous les modèles de trains existants sur une seule feuille de papier. Il dessine des petits trains, toujours de face et serrés les uns contre les autres au dos de tracts publicitaires. Aucun de ses modèles n’est identique à un autre, et il est capable de tous les nommer. Yoshimitsu TOMIZUKA, lui, détourne ( tout comme toi qui essaies de détourner les fleuves après Lénine...un autre courant:-) et réinvente la calligraphie japonaise.

J'aurais aimé faire de l'histoire de l'art!
Oui, le compte rendu que j'ai fait plus haut est celui de ma visite à l'Art en marche. Comparée à celle de l'Art brut japonais : elle est plus foisonnante, elle donne les œuvres de façon "brute", si j'ose dire : peu d'informations, pas de classification. Il y a juste une salle consacrée aux travaux des fous (et c'est là qu'on peut voir le souci du détail répétitif, comme cet homme qui peint toujours le même dessin de la main gauche en allant de bas en haut, vers la gauche.)
A Montmartre, c'était plus spécifiquement japonais dans le sens qu'il y avait beaucoup des obsessions qui utilisaient justement la calligraphie japonaise, et toutes les œuvres étaient les œuvres de personnes atteintes d'une pathologie.

Je n'ai vu aucune de ces 2 expos mais j'ai le catalogue de l'expo de l'Art Brut japonais à Paris. Oui, en effet, les Japonais exposés sont tous atteints d'une pathologie à l'exception d'un: Seizo Tashima.
C'est la première fois que l'Art Brut japonais est exposé en France. La première fois en Europe, c'était en 2008 à Lausanne. Pourquoi Lausanne? Car la Collection de l'Art Brut de Lausanne est l'institution de référence dans ce domaine. Qui plus est, ce musée a fait des recherches sur place et en a remené les travaux de 12 artistes autodidactes, de Kôbe, Kyoto et Yokohama. Parallèlement, une soixantaine d'oeuvres de ses fonds ont voyagé au Japon, dans une expo itinérante.
Le Japon occupe dès lors une place de choix au sein de la Collection de L'Art Brut, qui s'ouvre ainsi sur l'Extrême-Orient.
L'artiste majeur de cette collection est Aloise Corbaz qui fait l'objet d'une importance rétrospective au Japon. C'est à Dubuffet que nous devons la découverte d'Aloise. ( elle sera internée à vie dans un asile d'aliénés, en Suisse).

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"A Montmartre, c'était plus spécifiquement japonais dans le sens qu'il y avait beaucoup des obsessions qui utilisaient justement la calligraphie japonaise, et toutes les œuvres étaient les œuvres de personnes atteintes d'une pathologie."

Je pense que la spécificité japonaise de l'expo à Montmartre relève avant tout de la différence culturelle et politique.
Dans la société japonaise extrêmement normée et codifiée où la pire menace est l’imprévu, où la force de caractère se montre dans l’obéissance aux règles et la maîtrise de l’émotion, la rencontre avec l’art brut pouvait sembler improbable. Elle a pourtant eu lieu récemment ( d'abord à Lausanne puis maintenant à Paris) mais en étant subordonnée à la volonté politique de donner une plus grande reconnaissance sociale aux handicapés. Les initiatives pour valoriser ce corpus en tant que patrimoine artistique sont toutes récentes et correspondent à la rencontre avec l’art brut occidental. Cette ouverture de la culture nipponne sur l’art brut renouvelle le questionnement sur les rapports de l’art à ses sources, à ses frontières et à ses créateurs. Elle devrait nourrir une pensée capable de soutenir et de donner du sens à toute expression subversive au sein d’une culture lorsqu’elle est signifiée par des personnes œuvrant dans ses marges.

Comme Jean-Pierre Klein, psychiatre, qui anime des conférences autour de l’exposition à Montmartre, a bien dit " L’art brut est une opération pure, où seule se manifeste l’invention, libérée de tout canon culturel et artistique. ..L’art-thérapie va plus loin.... Il réveille cette pulsion créatrice chez les gens cassés, socialement précaires, envahis par leur folie, leur violence et celle des autres. Il accompagne le créateur pour aller plus loin que le premier jet, pour passer de l’expression à la création. C’est un processus évolutif."

Ferdinand Cheval était un facteur comme les autres jusqu'au jour où il tombe sur un caillou d'un forme qui lui plaît bien. Il le ramasse comme beaucoup d'autres cailloux plus tard et il décide alors de se lancer dans la réalisation d'un Palais idéal qu'il contruira entièrement de ses propres mains, sans expérience particulière. Une preuve parfaite d'Art Brut architectural, bien avant l'invention de ce concept?

Rêve de pierre
Lieu unique, à nul autre pareil, tout droit sorti de l’imagination vagabonde d’un facteur de campagne, le Palais idéal est un hymne au génie de la nature. Une nature qu’en 1879 Ferdinand Cheval côtoie chaque jour durant ses longues tournées à pied. Une nature dont le spectacle lui procure un bonheur intense et dont il va s’inspirer pour se mettre à l’ouvrage.
De la première à la dernière pierre, l’homme construit son rêve d’éternité, inlassablement : 93 000 heures, 10 000 journées, 33 ans. Imperturbable, le facteur n’a que faire des moqueries des uns, vite balayées par les encouragements des autres. Et parce qu’il rêve aussi d’horizons lointains, de voyages et d’aventures exotiques, Ferdinand Cheval invite l’histoire, les philosophies, les civilisations, les religions du monde entier. Le palais se fait temple de la nature, des idées, de la tolérance. Les messages gravés par le facteur sont intemporels et parlent à chacun d’entre nous, selon son cœur.

Le Palais Idéal, situé à Hauterives dans la Drôme est un vaste complexe dont les facades sculptées rappelle des scènes de la Nature et des religions, tant chrétiennes que hindoues ou égyptiennes. Le tout a une allure assez particulière, très chargée mais qui reste néamoins le travail de 33 années d'un homme au génie insoupsonné. Quelques images révélatrices de ce lieu, classé Monument Historique, qui nous rappelle également sur certains points, l'architecture de Gaudi :

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L'oeuvre d'une vie...grandiose!

Superbe!

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Nouvelle visite cette année, et grosse tentation du Vin et de la Vigne, entre parenthèses...

Et d'autres belles choses redécouvertes ou pas :

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Popilarski

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Yoan Michel

Jusqu'au mois de novembre s'exposent des oeuvres érotiques à l'Art en Marche.


On peut y voir les sexes de Cristian Lapusan : dans un format d'environ 50x50 est déclinée L'Origine du monde de Courbet. On y voit d'autres sexes. L'un avec une abeille qui butine du miel, un autre un colibri ; d'autres sont faits comme des oeuvres religieuses, sur un fond doré qu'on utilise pour les icônes.


Dans le musée se trouvent d'autres oeuvres qui auraient pu avoir leur place dans l'expo, comme le "Pornokrates" de Pepe Donate (voir plus haut) et cette sculpture des Staëlens :

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L'expo temporaire est : Philippe Aïni qui fait ses tableaux avec de la bourre de matelas.
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